Vincent, de l’indépendance à la SCOP : un gain de sérénité

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Vincent, sixième petite goutte du documentaire de Pauline Antipot a quitté son statut précaire de développeur freelance pour monter une SCOP avec deux autres associés. Résultat, un gain de sérénité.
Il y a quelque chose de différent chez Vincent par rapport aux autres Petites gouttes ?
Vincent est celui, parmi les petites gouttes, qui a le plus redéfini son rapport au travail : il n’a pas changé de métier, mais a réfléchi sur les normes et s’en est affranchi. Il a quitté cette pression sociale et familiale et les conditionnements qui vont avec. C’est celui qui répond le mieux à la problématique du documentaire : qu’ont fait ces trentenaires pour changer le travail ?
Qu’a-t-il accompli de si marquant ?
Il était développeur indépendant, à son compte donc, travaillait bien et avait un certain nombre de clients. Le plus souvent, il créait des sites de e-commerce. Sa situation était confortable financièrement, mais il n’avait pas de visibilité à long terme sur son travail et le type de clients qu’il aurait : être indépendant, c’est souvent prendre le premier client venu parce qu’on est à flux tendu. Il a décidé de monter une SCOP avec deux amis il y a quelques années. Et la différence avec d’autres entreprises ou d’autres petites gouttes, c’est qu’ils ont monté cette SCOP, non pas pour des questions de croissance ou de bénéfices, mais simplement pour lisser leurs revenus à trois et pérenniser leurs emplois, tout en ayant le luxe de choisir leurs clients.
Comment ont-ils procédé ?
Ils ont calculé leurs coûts fixes en partant des salaires qu’ils souhaitent avoir, ce qu’ils doivent sous-traiter parce qu’ils ne sont pas capables de le faire, etc. Cette somme dont ils ont besoin mensuellement peut être récupérée en facturant entre 6 et 10 jours de travail par mois et par personne. lls ont annualisé leurs revenus également. Le reste du temps, comme le travail n’est pas pour eux synonyme de souffrance, ils travaillent quand même pour participer à la communauté du libre : ils développent des outils et des fonctionnalités qu’ils mettent gratuitement à disposition de la communauté. Cette façon de faire leur a permis de rester en veille et d’être toujours à la pointe. C’est un service de R&D en quelque sorte. Ce temps qu’ils passent à travailler sans valeur dans le capital, en réalité, ça leur permet de se positionner comme des experts, ce qu’ils peuvent facturer ensuite. C’est un cercle plutôt vertueux.
Le travail n’est pas pour eux synonyme de souffrance
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Minimum mensuel : 6€
On apprend aussi qu’un des trois associés, tout jeune papa a pu augmenter son salaire en fonction de ses besoins, non pas en fonction de son travail. Pourquoi ?
Parce qu’ils ont redéfini ce qu’était un salaire : il ne vient pas récompenser une heure de travail, mais vient couvrir un besoin ! Au tout début, ils étaient payés au SMIC, puis ils se sont augmentés à 1600 euros net, sauf celui qui est devenu papa qui gagne plus à présent. Effectivement, une personne a eu besoin de plus d’argent et ils ont décidé tous les trois que l’un d’entre eux avait un besoin en plus du leur. Ils ont donné une valeur financière au fait d’élever un enfant, ce qui dans notre société n’existe pas.
Vincent est quelqu’un qui reconnaît facilement qu’il n’est pas un grand lecteur, pourtant cette philosophie du salaire et du travail, c’est celle du sociologue Bernard Friot dans “Salaire à vie”. Ils redonnent une valeur à une activité qui n’est pas reconnue comme productive au sens du capital. Ils se sont libérés et affranchis d’un patron. Et du modèle du capital.
Le marché du développement de sites dans lequel ils évoluent joue beaucoup sur leur réussite, non ? Ou a minima sur leurs possibilités de réussir à développer leur SCOP pour un salaire minimum ?
Ils sont intégrés dans un marché porteur et la demande existe, les entreprises du capital veulent effectivement mettre de l’argent dans leur activité. Après, ce sont des gens qui travaillent et qui vendent leur savoir-faire à des entreprises qui ont un besoin. Une différence néanmoins [avec une entreprise plus classique, NDRL], c’est qu’ils sont tous les trois propriétaires de leur outil de production. Certes, ils sont trois et pas quinze, mais surtout, l’un des ingrédients essentiels qu’ils ont en main, c’est la confiance. Ils se font confiance.

Ils ont eu affaire à un client dit “difficultateur”, nocif pour le projet. Dans ces cas-là, soit il faut le faire changer, évoluer, soit il faut le faire sortir. Parce qu’ils travaillent non pas pour le client, mais pour le projet et les utilisateurs. Avec ce type de clients, il vaut mieux cesser de travailler. N’étant pas dans une précarité financière, ils ont ce luxe de dire non.
Leur aventure a l’air assez idyllique. Même si on creuse un peu ?
Étonnamment, leur SCOP a bien roulé les premières années. Mais une fois de plus, ce sont des personnes qui travaillent dans les solutions dites libres et dans cette communauté, ils sont des rock stars du web. L’un des associés travaillait pour Mozilla et ils ont bénéficié de leur notoriété au sein de cette communauté.
Quand je l’ai revu, nous avons déjeuné ensemble et il me racontait que la période n’était pas facile, notamment parce qu’ils n’ont plus autant de visibilité qu’avant sur la trésorerie. Et parce que les cotisations dans une SCOP sont plus élevées que dans une SARL.
Cette situation pourrait mettre en péril leur entreprise ? Leurs envies ?
Ce sont des gens qui adorent travailler ensemble ! Comme ils se font confiance, les conflits sont mineurs, ils n’ont pas pris le pas sur le reste. Vincent dit par exemple qu’il fait plus confiance aux autres qu’à lui-même. Alors que leur entreprise rencontrait quelques problèmes de trésorerie, Vincent a appelé leur comptable pour lui demander de baisser son salaire, le temps que pourrait durer la crise qui commençait tout juste. Le comptable lui a répondu que chacun avait fait ça en attendant que l’entreprise aille mieux !
C’est l’intérêt général qui prime sur l’intérêt personnel
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C’est l’intérêt général qui prime sur l’intérêt personnel, c’est lié à leur parcours, mais aussi parce que c’est le collectif qui leur permet de pérenniser leur emploi. Le risque, c’est que des concurrents arrivent, qu’ils perdent leur valeur ajoutée. Même s’ils auront sans doute toujours une longueur d’avance. Les clients viennent chercher leur façon de travailler, leurs méthodes et leurs compétences en code. Avec eux, ils définissent des objectifs, des problèmes et des besoins et priorisent ce qui doit être développé dans différents lots. Vincent et ses deux associés travaillent ensuite par phase de quinze jours, ils développent une partie des fonctionnalités, puis facturent et réfléchissent à voir s’ils veulent continuer d’avancer avec le client. On fantasme tous sur ce dont va avoir besoin l’utilisateur, mais tant que ce n’est pas testé, on ne sait pas si on va dans la bonne direction. Tout ça pour dire que Vincent n’aurait pas pu le faire seul !
Comment parle-t-il de son virage de freelance à sa SCOP ?
Pour lui, c’est une suite logique. C’est quelqu’un d’incroyable, car il a mûri sa façon de vivre : en devenant salarié sans patron, il est sorti de la philosophie du capitalisme. Et il a même abandonné son logement !
Comment ça ?
Au tout début, ils louaient des bureaux à Montpellier, et au fur et à mesure qu’ils devaient aller voir un client à Paris, un autre à Lille, ils se sont rendu compte qu’ils n’étaient pas souvent dans leurs bureaux et que leur métier leur permettait de travailler n’importe où pourvu qu’ils y aient une bonne connexion Internet. Ils se sont dit “essayons de ne plus louer de bureau !” De son côté, Vincent s’était préparé à ne plus avoir d’appartement non plus.
Comment en est-il arrivé là ?
Il s’est dit qu’il fallait réfléchir à ce qu’il n’avait pas utilisé depuis trois mois ou plus. Ce dont il n’avait pas besoin est parti. Puis un mois, puis quinze jours. Et aujourd’hui, tout tient dans son sac à dos, qu’il considère même superflu. Sa démarche ressemble beaucoup à celle des mouvements minimalistes au Japon. Il ne lit pas beaucoup, mais les discussions avec d’autres l’inspirent.
Il apparaît être le plus seul de toutes les petites gouttes.
Il vit seul, il n’est pas dans une relation “stable”. Maintenant, en termes d’amitié, comme il est mouvant, il peut aller chez des amis partout dans le monde. Il ne les voit pas souvent, mais quand il les voit, c’est chez eux et sur du long terme. Il expliquait qu’il était vite dans ses habitudes quand il était installé à Montpellier. Ses relations sont devenues plus qualitatives à mesure que la fréquence à laquelle il les entretenait était moindre. Il est en tout cas le seul des Petites Gouttes à avoir construit sa stabilité autour du travail.
Cette solitude est-elle un problème pour lui ? Et la place du travail ?
Ce n’est pas un problème, non. Il utilise une métaphore de l’arbre et de l’oiseau, dans laquelle il a catégorisé les personnes qu’il rencontre. Les arbres ont des racines, et sont ancrés dans un territoire. Pour les arbres, sa vie est complètement instable. Lui se définit comme un oiseau et trouve sa stabilité dans le mouvement, comme un enfant qui marche.
Au départ, il y avait, comme Adèle, le rejet de l’individualisme, aussi un besoin de retrouver du collectif, comme Grégor. Il veut retrouver de la bienveillance et de la communication.
Nous avons vu Gregor, Amandine, Axelle, et les autres. Vincent est le “personnage” de l’avant-dernier épisode. Pourquoi est-il à cet endroit-là du documentaire ?
Pour moi, Vincent est celui qui a vraiment repensé le travail, il a une réflexion très aboutie, sa philosophie l’est également. La seule chose que, d’un point de vue personnel, je trouve difficile, c’est son nomadisme. C’est un choix personnel, je ne le remets pas en question. Mais je me suis rendue compte que je tirais mon modèle vers le sien : nous allons retravailler ensemble avec Étienne [le producteur du documentaire, NDLR], sans mission précise définie à l’avance, mais juste parce qu’on a envie de travailler ensemble.
Aujourd’hui je veux choisir les personnes avec qui je travaille. C’est ça que m’a apporté Vincent. Lui, c’est un ensemble de petites gouttes de chaque petite goutte. Dans son modèle, accepter de travailler avec les gens qu’on aime c’est accepter qu’un projet n’ait pas la finalité qu’on voudrait avoir et c’est accepter leur plus-value et leurs compétences. Pour le documentaire, j’ai procédé de cette manière : j’avais envie de travailler avec Caroline [qui illustre Les petites gouttes, NDLR] et Caroline dessine, donc on a intégré des dessins animés au documentaire.
Mes futurs projets vont être définis par ce que les gens peuvent et veulent apporter sur les projets. Parce que nous avons ce luxe d’être dans des secteurs porteurs, d’être blancs et diplômés, par envie, je peux non pas faire des documentaires, mais plutôt travailler avec des gens que j’aime et qui me font grandir.
Découvrez l’épisode 6 de la série documentaire Les Petites gouttes sur Francetv Slash
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