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Journaliste indépendante, je suis installée en Bretagne et je m’intéresse aux questions d’environnement, d’agriculture et aux problématiques maritimes. Très heureuse sur le terrain – même à cinq heures du matin, dans les effluves de gasoil d’un bateau de pêche -, je passe aussi beaucoup de temps à éplucher les textes législatifs et rapports parlementaires.
« J’ai vu mon cheval arrêter de ventiler », confie le cavalier au journal de 20 heures de France 2 (16’55) peu après son accident. Il traversait le ruisseau du Roscoat qui débouche sur la plage de Saint-Michel-en-Grève. Le cavalier a été sauvé par des employés de l’entreprise de ramassage d’algues, témoins des faits.
La laitue de mer se consomme fraîche après une récolte au printemps. Elle se mange cuite ou crue, sa saveur est proche des épinards. Et comme pour le plat préféré de Popeye, on lui prête des atouts nutritifs intéressants en raison de sa teneur en fer.
L’Ineris a été sollicité pour estimer les teneurs en hydrogène sulfuré et déterminer la présence d’autres composés gazeux toxiques susceptibles d’être émis par les algues vertes (ou ulves) en cours de fermentation. « Ces résultats ont confirmé la nécessité d’appliquer des mesures de prévention visant à éviter l’accumulation et la fermentation des algues dans des lieux accessibles au public, par des actions de ramassage », a précisé l’Ineris.
« D’une manière générale, on peut estimer en Bretagne la part de l’azote non agricole à 5% en moyenne, cette part pouvant dans certains cas monter entre 5 et 10% du flux sortant », expliquent les scientifiques Alain Ménesguen (Ifremer), Pierre Aurousseau (Agrocampus Ouest), Patrick Dion (Ceva) et Patrick Durand (Inra).
Un an après le déclenchement du premier plan algues vertes, demandant à l’agriculture des efforts conséquents, des éleveurs ont défilé au Space, un salon professionnel, avec des panneaux « Algues vertes : arrêtez vos salades », souhaitant pointer une responsabilité partagée.
Lors du premier bilan, en 2013, une dizaine d’opérateurs étaient certifiés bio pour une production d’environ 250 tonnes d’algues par an. Au total, la production française est aujourd’hui estimée à un peu plus de 70 000 tonnes par an.
Au coeur de l’été 2009, un cheval a succombé en l’espace d’une minute, enlisé dans une mare d’algues vertes. Son cavalier, lui, s’est évanoui. Soudain, ce dossier sanitaire a quitté les seules préoccupations bretonnes pour occuper la une des journaux nationaux et internationaux. Pourquoi cet accident, qui pourrait un jour se reproduire, a-t-il tant marqué ? Huit ans après, retour sur ces batailles feutrées.
Le 28 juillet 2009, alors que le chassé-croisé des juillettistes et aoûtiens bat son plein en Bretagne, un cavalier frôle la mort à Saint-Michel-en-Grève (Côtes-d’Armor). Son cheval, enlisé dans les algues, succombe à un œdème pulmonaire en moins d’une minute, sans eau ni vase dans ses poumons. Vincent Petit, 27 ans, s’évanouit instantanément.
« C’est un chauffeur de tractopelle, chargé de ramasser les algues vertes sur cette même plage, qui a eu le réflexe de demander à deux passants de grimper dans le godet de son engin pour soulever l’homme sans mettre les pieds dans les algues. Ensemble, ils ont réussi à ne pas causer de suraccident », détaille Yves-Marie Le Lay, président de l’association Sauvegarde du Trégor et habitant d’une station balnéaire à l’ouest de la baie. Le principal suspect ? Une marée verte.
Rapidement, l’affaire fait la une des journaux locaux et nationaux. Pourtant, les marées vertes ne datent pas d’hier. Depuis le début des années 1970, les algues vertes, inoffensives et même comestibles fraîches, se sont multipliées dans les baies sableuses et peu profondes de la côte bretonne. Alimentées par les nitrates dont elles se nourrissent avec avidité, ces algues libèrent, en se décomposant, un gaz toxique à la forte odeur d’œuf avarié : l’hydrogène sulfuré.
Avant l’arrivée des algues vertes, ce gaz, issu des matières en décomposition, est longtemps resté la terreur des seuls vidangeurs et égoutiers qui craignaient le « coup de plomb », une perte de connaissance subite pouvant conduire au décès. Mais avec le développement de l’agriculture intensive dans les années 1960, le taux de nitrates des rivières, se déversant dans ces baies, a été multiplié par 10 en 20 ans.
Les marées vertes inquiètent les Bretons depuis des décennies. (Illustration CC BY-SA ludovicmauduit)
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Le premier réflexe de la préfecture est alors d’assurer que le cavalier et la monture se sont « envasés dans une zone mouvante », évacuant de prime abord l’hypothèse d’une intoxication. Vétérinaire de formation, le cavalier s’est démené pour récupérer, de justesse, le corps de son animal avant qu’il ne parte à l’équarrissage. Avec à la clef, la possibilité de pratiquer une autopsie.
Et quelques jours plus tard, quand arrive un rapport de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris), commandé par la secrétaire d’État à l’Écologie, Chantal Jouanno, c’est la consternation : l’institut révèle que des taux de 1000 ppmv (parties par million en volume) d’hydrogène sulfuré, soit un seuil pouvant « être mortel en quelques minutes », ont été mesurés sur place. Il s’agit alors de la première reconnaissance officielle du risque mortel provenant des algues vertes. Branle-bas de combat jusqu’à Matignon : les algues vertes poussent François Fillon, alors Premier ministre, à écourter ses vacances.
La prise en main politique
« C’est un coup politique », soulignent en chœur les éditorialistes, pointant l’opportunisme du Gouvernement qui occupe le terrain écologique le jour où s’ouvre l’Université des Verts.
Peut-être avait-il un peu faim, car il nous écoutait d’une oreille distraite
Reste que l’homme politique voulait marquer le coup. Non seulement il a débarqué dans cette toute petite commune de 455 habitants au dernier recensement, mais il n’est pas venu seul, embarquant dans son sillage la secrétaire d’État à l’Écologie, le ministre de l’Agriculture, Bruno Le Maire, et la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot. « Il a commencé par rencontrer les agriculteurs et les élus, avant de nous recevoir vers 12 heures 30 – 13 heures », se souvient Yves-Marie Le Lay. « Peut-être avait-il un peu faim, car il nous écoutait d’une oreille distraite. »
Des panneaux alertent désormais les promeneurs des dangers des algues vertes à Saint-Michel-en-Grève. (Illustration Haude-Marie Thomas)
Autour de la table, se sont rassemblés des représentants des associations Eau & rivières de Bretagne et Halte aux marées vertes, mais aussi une victime des algues vertes, Maurice Brifault, intoxiqué en 1999 sur cette même plage de Saint-Michel-en-Grève. « Nous l’avons rencontré dans la rue, juste avant de rejoindre le Premier ministre et juste après avoir appris que l’une des invitées du monde associatif ne pouvait pas se joindre à nous. Une place était libre, nous avons décidé d’en profiter », poursuit le militant Yves-Marie Le Lay qui se souvient que l’attitude de François Fillon a changé du tout au tout lorsque Maurice Briffault a pris la parole.
Maurice Briffault est resté cinq jours dans le coma
Avec pudeur, l’homme a détaillé ce jour de 1999, lorsqu’après avoir terminé le chargement d’un tas d’algues stocké sur la plage depuis un mois, il s’est effondré sur le volant de son tracteur, victime d’un coup de plomb comme pouvaient en connaître par le passé les égoutiers. Ce sont finalement deux infirmières, venues faire un jogging sur la plage, qui lui ont administré les premiers secours. « Maurice Briffault est resté cinq jours dans le coma », insiste Yves-Marie Le Lay. « François Fillon ne pouvait plus dire que les algues vertes n’avaient pas fait de victime puisqu’il a discuté avec l’une d’entre elles ! » À l’issue de cette rencontre, le Premier ministre annonce la mise en place d’une mission interministérielle pour établir un plan d’action contre les algues vertes. Délais impartis ? Trois mois. La machine politique était lancée, faisant écho aux colonnes de journaux.
Des antécédents inaudibles
La mobilisation de l’État paraît tardive, d’autant que la première mention officielle d’un échouage massif d’algues vertes date de 1971, dans le compte-rendu d’un conseil municipal de Saint-Michel-en-Grève. Les premières traces médiatiques, elles, apparaissent dans les années 1980. Le quotidien Ouest-Francerelayait alors le cri d’alarme de l’association Eau & Rivières de Bretagne sous ce titre: « Les algues vertes : sans véritable politique de l’eau, il faudra s’en accommoder. » À l’époque, on s’inquiétait surtout de la qualité de l’eau douce et donc de l’eau potable.
Les chevaux ne sont pas les seuls à être vulnérables face aux algues vertes. (Illustration CC BY Eloise Bourns)
Il faut ajouter dix ans pour que la menace prenne une autre dimension, avec la découverte du corps d’un joggeur en juin 1989. Jacques Thérin a été retrouvé sur la plage de Saint-Michel-en-Grève, englué dans des algues en décomposition. Le premier décès lié aux algues vertes, il y a près de 30 ans. « Mais nous n’avons pas pris connaissance de ce décès à ce moment-là. Nous avons perdu dix ans… », regrette le militant Yves-Marie Le Lay, dont l’association, créée en 1976 pour contrer un projet de centrale nucléaire, se mobilise contre les algues vertes depuis le début des années 2000.
Lorsque le cheval de Vincent Petit décède brutalement, en 2009, il est impossible de passer à côté des algues qui verdissent les plages. Cette année-là, 87 983 m³ d’algues ont été ramassées en Bretagne contre près de 55 500 en 2008. Et 35 000 m³ sont concentrés sur les seules communes de Saint-Michel-en-Grève et Hillion.
« L’ampleur d’une marée verte dépend de facteurs météo – comme un hiver calme – et des dépôts datant de l’année précédente », explique Sylvain Ballu, responsable du suivi des marées vertes au Ceva, le Centre d’étude et de valorisation des algues qui suit à la fois le dossier des algues vertes et le développement de la filière des algues alimentaires. « En 2009, le démarrage de la saison a été très précoce. » Très inquiètes, les associations s’étaient mobilisées dès avril. Au printemps, le porte-parole de l’association Halte aux marées vertes, André Ollivro, apparaissait devant les caméras de Thalassa équipé d’un masque à gaz, déclenchant aussitôt un flot de commentaires ulcérés par cette attitude jugée anxiogène. Mais aussi la mobilisation de nombreux soutiens, allant jusqu’à décrocher le titre de Breton de l’année, décerné par le quotidien régional Le Télégramme à la toute fin décembre.
L’agriculture s’organise en lobby
Dans le même temps, les agriculteurs — à l’origine d’environ 95% des émissions d’azote en Bretagne —, ont mis sur pied le Comité pour une agriculture positive (Cap Bretagne) pour soigner leur image. En novembre 2009, un rapport indiquait que « la diminution visible et notable de ce phénomène ne pourra passer que par un changement profond des pratiques agricoles, ce que la profession agricole n’est pas prête à accepter pour le moment ».
La contestation du rôle des agriculteurs dans l’augmentation des nitrates fut particulièrement vive lors du salon international de l’élevage Space 2011, mais l’organisation Cap Bretagne était alors en fin de course. Jérôme Philippe, directeur de l’agence Communiqués, s’occupait des relations publiques de l’organisation. Il revient sur cette époque et confirme au passage la disparition de cet organisme en 2012 : « Nous avons mis en place des protocoles pour communiquer sur le sujet puis le relais a été passé aux acteurs de terrain, chambres d’agriculture et syndicats professionnels », explique-t-il.
Toutes les sources de nitrates doivent contribuer à la maîtrise des flux azotés
Le travail de l’image ne résolvant pas à lui seul la pollution en augmentation, restaient alors les questions financières : il aura fallu une mobilisation des associations et la mort d’un cheval cet été-là pour que des fonds soient débloqués et que le fait-divers n’en reste pas un. Le premier plan algues vertes, annoncé quelques mois après le déplacement de François Fillon, concentrait 120 millions d’euros d’investissement, dont 80 pour soutenir l’évolution de l’agriculture vers des systèmes de production à basses fuites d’azote. 12% des exploitations agricoles bretonnes étaient alors concernées. « Toutes les sources de nitrates, urbaines et rurales, doivent contribuer à la maîtrise des flux azotés. Toutefois, les sources agricoles sont largement prépondérantes », précisait le plan. Mais tous les objectifs de ce plan algues vertes n’ont pas été atteints, et ce, malgré la prolongation du dispositif jusqu’en 2016.
En France, on récolte plus d'algues qu'on en cultive, comme ici dans une écloserie des Côtes d'Armor (Illustration Haude-Marie Thomas)
Pour la zone comprenant Saint-Michel-en-Grève, l’objectif de baisse de 10% des entrées d’azote n’a été atteint qu’à hauteur de 3%. Dès 2013, le comité scientifique algues vertes tirait pourtant la sonnette d’alarme, soulignant les blocages socio-économiques et l’absence de solutions innovantes. Quatre ans plus tard, malgré les échecs du premier plan, l’heure est à la négociation du second, envisagé dans la continuité du premier. Un besoin d’autant plus pressant que les algues vertes ont fait une nouvelle victime : en septembre dernier, un joggeur décédait d’une « intoxication aigüe » dans les Côtes-d’Armor.
Un impact économique conséquent
En parallèle, la Bretagne, dont le tourisme représente 8% du PIB, ne pouvait rester les bras croisés face à ce qui s’annonçait comme une crise pour les acteurs locaux. Le Comité régional du tourisme (CRT) a donc été le premier à réagir, au cœur de l’été 2009, pour rassurer les vacancières et vacanciers potentiels en publiant un communiqué… promptement retiré sous la pression des associations environnementales et devant le décalage qui se creusait entre les mots choisis et la prise de conscience politique. Le CRT prit donc quelques mois pour élaborer une communication de crise avec à la clef pour les journalistes, un voyage de presse visant à soigner l’image de la région.
« Le sujet des marées vertes a été traité assez objectivement, tout en tenant compte des efforts entrepris par tous les acteurs bretons avec le soutien financier de la Région et de l’État », s’est réjoui le comité. Entretemps, en 2011, un rapport interne fuitait, dévoilant que la crise des algues vertes, symbolisée cet été-là par la mort de 36 sangliers, intoxiqués sur le sable de la baie de Saint-Brieuc, représentait un manque à gagner de 800 000 euros sur la période estivale.
Nous avons rappelé qu’il n’y avait aucun risque de contamination
Plus discrets, les acteurs du secteur maritime ont, eux aussi, souffert de l’impact des marées vertes. Les algues colmatent les filets de pêche, les tables à huîtres et les bouchots à moules, obligeant à davantage de manipulations. La présence d’estuaires touchés par les marées vertes à proximité de concessions d’algues alimentaires peut également faire obstacle à la labellisation bio, autorisée pour la culture d’algues depuis 2010, même si les unes ne peuvent pas contaminer les autres. « Nous sommes intervenus pour soutenir un producteur d’algues en Bretagne Nord car sa concession était située dans une zone englobant un estuaire touché par les marées vertes », explique ainsi Sylvain Ballu, du Centre européen d’étude et de valorisation des algues. « Nous avons rappelé qu’il n’y avait aucun risque de contamination. »
Les algues vertes ne deviennent toxiques que lorsqu’elles sèchent au soleil, dans des baies abritées et peu profondes, loin des concessions d’algues alimentaires exposées aux courants du large. La principale menace pour le secteur maritime reste donc une question d’image. Or, après un hiver calme, la saison 2017 s’annonce une nouvelle fois très verte. Les premiers dépôts ont été observés dès le mois de mars. La pollution aux algues vertes n’a pas fini de faire des vagues.
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