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Persuadée que la curiosité n’est pas un vilain défaut, je suis revenue sur les bancs de la fac dix années après les avoir quittés. Pour assouvir ma soif de connaissances et de rencontres, j’ai choisi un nouveau métier : journaliste.
Généralement abrégé en VLSA, ce visa est délivré à un enfant (mineur de moins de 15 ans) pour qu’il puisse entrer sur le territoire français. 54 ont été refusés à la fin novembre 2016, ce qui a poussé certaines familles à formuler des recours.
L’année 2016 est atypique sur le plan statistique, car 232 enfants en provenance de la République démocratique du Congo ont reçu un visa long séjour pour adoption, ce qui fait considérablement augmenter les chiffres par rapport à 2015. Cela s’explique par le fait que la RDC avait suspendu, depuis trois ans, les adoptions internationales. À la réouverture, en février 2016, de nombreuses procédures, déjà en cours, ont repris. La MAI assure qu’il faut donc relativiser les chiffres « bruts » de 2016 en étudiant les phénomènes « hors RDC ».
Cette convention est un texte de droit international signé pour la première fois en 1993. Elle a été ratifiée par les États « convaincus de la nécessité de prévoir des mesures pour garantir que les adoptions internationales aient lieu dans l’intérêt supérieur de l’enfant et le respect de ses droits fondamentaux, ainsi que pour prévenir l’enlèvement, la vente ou la traite d’enfants ». Au 1er janvier 2017, 98 pays dans le monde ont ratifié ce texte.
Il s’agit d’un principe qui fait l’objet d’un article dans la Convention de la Haye (entre autres) : les enfants doivent être en priorité élevés dans leur famille ou adoptés dans leur propre pays. En clair : dans l’intérêt de l’enfant, il est nécessaire de chercher d’abord une solution locale pour lui.
À l’échelle mondiale, les adoptions internationales ont chuté de 70% en seulement dix ans. Le renforcement de l’encadrement juridique et la hausse du niveau de vie expliquent cette brutale diminution.
La nouvelle est tombée tel un couperet. Depuis le 1er janvier, la France a suspendu les procédures d’adoption avec la République démocratique du Congo. Elle laisse dans le désarroi une cinquantaine de familles qui y ont adopté un enfant, mais qui ne peuvent obtenir le visa français. Pourtant, en 2016, ce précieux sésame était délivré à 232 adoptés congolais. Pourquoi donc cesser la collaboration avec Kinshasa ? Car le quai d’Orsay a constaté de nombreuses irrégularités dans les dossiers, notamment l’absence d’état civil pour plus de la moitié des enfants. Comment vérifier leur adoptabilité ? Auraient-ils fait l’objet d’un trafic ? Une enquête est en cours.
Un changement de paradigme
La République démocratique du Congo n’est pas le seul pays avec lequel le quai d’Orsay a suspendu ses accords. La Côte d’Ivoire a connu le même sort courant 2016, tout comme l’Éthiopie où le nombre d’adoptions est passé de 24 en 2015 à 10 en 2016.
Avant, le gouvernement français encourageait l’ouverture des frontières
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Pour la Mission de l’adoption internationale (MAI), c’est l’illustration d’un « changement de paradigme », intervenu depuis les années 2010 : « Avant, le gouvernement français encourageait l’ouverture des frontières, sous la pression des familles. La Mission de l’adoption internationale n’était pas censée freiner les adoptions », nous confient des représentants de la MAI. « Pourtant, notre rôle est de vérifier qu’elles sont réalisées de manière éthique et dans l’intérêt de l’enfant. » En 2016 donc, hors République démocratique du Congo, seuls 725 visas longs séjours pour l’adoption ont été délivrés, contre 815 en 2015 et plus de 4 000 il y a dix ans. C’est la sixième année de baisse consécutive, bien que son rythme ralentisse (-11% en 2016, contre -20 à -25% auparavant).
Un déclin mondial
Cet effondrement dépasse largement les frontières de notre pays : « Le déclin de l’adoption internationale s’observe à l’échelle mondiale. Le nombre de mineurs adoptables fournis par les pays d’origine baisse. Alors que, dans les pays d’accueil, la demande reste élevée », souligne Jean-François Mignot, chercheur en démographie au CNRS. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : dans le monde, il y avait plus de 45 000 adoptions internationales en 2004 contre 13 500 en 2014.
L’une des raisons de ce déclin ? L’évolution de l’encadrement juridique. La convention de La Haye est le dispositif qui garantit la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale. Né en 1993, il est signé par 98 pays au 1er janvier 2017. Comme la France qui l’applique depuis 1998, mais pas la République démocratique du Congo, où des irrégularités ont été constatées. En France en 2016, 72% des adoptions internationales se sont faites dans des pays membres de la convention de La Haye, contre 68% en 2015. « Cette tendance devrait se poursuivre », prévoient les hauts fonctionnaires de la Mission de l’adoption internationale, qui encouragent les futures familles adoptives à s’orienter vers ces pays.
Souvent, lorsqu’il ratifie la convention de La Haye, un pays pourvoyeur d’enfants adoptables à l’international établit un moratoire sur les adoptions, le temps de se mettre en règle. L’objectif : s’assurer que chaque enfant remplit les conditions requises pour une adoption. Ce qui nécessite d’élaborer des procédures longues (vérification de l’état civil de l’enfant, de l’absence de parents ou de famille proche…) afin d’éviter de dramatiques erreurs, comme ce fut le cas en 2007 avec l’Arche de Zoé.
Une fois en règle, le pays peut lever son moratoire. Le nombre d’enfants qu’il propose alors à l’international devient plus faible. C’est le cas du Vietnam : signataire de la convention en décembre 2010, il proposait 1 260 enfants à l’adoption internationale cette année-là. Deux ans après, en 2012, ils n’étaient plus que 214. « La ratification de ce texte par de plus en plus de pays induit une baisse des adoptions internationales. Mais si un État se lance dans la démarche, c’est parce qu’il avait déjà l’intention de réduire le nombre d’enfants adoptables envoyés à l’étranger », analyse Jean-François Mignot. Une question de fierté nationale : quelle image donne un pays incapable de s’occuper de ses enfants orphelins ou abandonnés ?
Trois pays africains sont aujourd'hui signataires de la convention de La Haye. (Illustration CC BY-SA SIM USA)
Cette nouvelle politique trouve ses origines dans l’enrichissement et la hausse du niveau de vie de nombreux pays, permettant l’émergence d’une classe moyenne, nouvelle candidate à l’adoption. C’est le cas du Brésil, qui a connu une forte croissance de 1993 à 2008.
Tous les intérêts convergent : c’est mieux pour les enfants, mieux pour le pays
Alors qu’il mettait beaucoup d’enfants à disposition à l’international dans les années 1980, le pays favorise désormais l’adoption nationale, respectant ainsi le principe de subsidiarité de la convention de La Haye. « Cela permet de satisfaire en priorité la demande des classes moyennes et supérieures locales. Tous les intérêts convergent : c’est mieux pour les enfants, mieux pour le pays », affirme le démographe. Par ailleurs, grâce à la diffusion des moyens de contraception et de l’interruption volontaire de grossesse, les enfants non désirés sont moins nombreux. Quant à la hausse de l’espérance de vie, elle peut entraîner une baisse du nombre d’orphelins.
Ainsi, les pays réservent en priorité leurs enfants aux candidats nationaux à l’adoption. Et durcissent les critères de sélection pour les étrangers. Telle la Chine qui restreint l’adoption d’enfants chinois aux couples mariés depuis au moins deux ans, diplômés, sans maladie ni handicap sérieux, disposant de biens et de revenus stables. Conséquence : le profil des adoptés internationaux évolue. Les enfants en bonne santé sont réservés en priorité aux familles nationales, ceux proposés à l’adoption internationale sont la plupart du temps des enfants « à besoins spécifiques », c’est-à-dire à l’état de santé fragile, adoptables en fratrie, ou plus âgés que ce que demandent généralement les familles adoptives.
Difficile, donc, d’envisager un avenir pour l’adoption internationale. « Elle va devenir de plus en plus marginale », prédit Jean-François Mignot. « Car les tendances expliquant sa chute sont lourdes et devraient se poursuivre dans les décennies à venir. » Désormais, de nombreuses personnes se tournent vers la procréation médicalement assistée ou la gestation pour autrui. Cherchant de nouvelles voies pour combler leur désir d’enfant, même si le droit à l’enfant, lui, n’existe pas.
À lire aussi sur L’imprévu | Lorsque l’on pense à l’adoption internationale, une affaire emblématique nous revient toujours en mémoire : celle de l’Arche de Zoé. Un fiasco humanitaire sur lequel s’est penché L’imprévu et qui vous replonge en 2007.
L’association, créée par le couple en 2004, visait au départ à venir en aide aux enfants victimes du tsunami en Asie du Sud-Est. Éric Breteau et sa compagne Émilie Lelouch ont ensuite initié leur « opération Darfour ». Sur son site Internet, l’Arche de Zoé se décrivait comme « une association à but non lucratif dédiée aux enfants orphelins ».
L’association recherchait des familles pour accueillir ces enfants. Sans promettre l’adoption, elle a joué sur leur corde sensible. Les familles en attente d’adoption espéraient accompagner les enfants dans leur demande d’asile, puis une fois toutes les formalités réglées, être prioritaires pour les adopter. Ce que l’association ne pouvait en aucun cas leur garantir.
Abéché est la deuxième ville du pays. L’association a pu profiter de son positionnement : elle se trouve en effet à l’est du Tchad, à 170 kilomètres de la frontière soudanaise et du Darfour.
Fin décembre 2007, les membres de l’ONG sont condamnés à huit ans de travaux forcés au Tchad. Rapatriés en France, ils y sont également jugés. En février 2014, les deux cerveaux de l’opération écopent finalement de deux ans de prison avec sursis.
C’est le président tchadien lui-même qui réclame ces libérations. Marie-Agnès Pèleran, journaliste de France 3, se trouve alors en congé humanitaire. Elle est par ailleurs membre du Collectif des familles pour les orphelins du Darfour. Jean-Daniel Guillou, lui, est un photographe « embarqué » pour suivre la mission, il la couvre de A à Z aux côtés des humanitaires. Enfin, Marc Garmirian, arrivé au Tchad une semaine avant la fin de l’opération, réalise un reportage pour Capa, sur la mission de l’Arche de Zoé.
Pierre Micheletti était président de Médecins du Monde de 2006 à 2009. On lui doit un livre, Les Orphelins, fiction dans laquelle il raconte ce qui aurait pu se passer si l’avion de l’Arche de Zoé avait décollé. Un ouvrage réédité en 2016 aux éditions Lucien Souny.
Bertrand Quinet est responsable du département Programmes de formation à l’Institut Bioforce, centre de formation en logistique humanitaire fondé en 1988. Ce dernier explique sur son site que sa mission consiste à « améliorer l’impact et la pertinence des interventions de solidarité menées auprès des populations vulnérables ».
En 2007, alors qu’un conflit meurtrier sévit au Darfour, une association humanitaire, l’Arche de Zoé, projette d’évacuer des orphelins vers la France, dépassant les frontières de la légalité. Maladresse ? Méconnaissance du droit ? Négligences ? Dix ans après, cette mission avortée recèle toujours des zones d’ombre.
Les membres de l’Arche de Zoé se doutaient-ils que leur projet virerait au cauchemar le 25 octobre 2007 ? Ce jour-là, au Tchad, ils doivent embarquer 103 enfants dans un avion. Destination la France, où des familles d’accueil les attendent. En chemin vers la base aérienne, leur convoi est stoppé. Neuf Français sont interpellés par la police tchadienne. La veille au soir, pourtant, un employé tchadien les avait avertis : « Vous ne pouvez pas emmener ces enfants. » Mais les responsables de l’organisation, Émilie Lelouch et Éric Breteau, étaient prêts à tout pour les « sortir de l’enfer du Darfour ».
Sauver les enfants du Darfour
Revenons quelques mois en arrière. En mars 2007, un rapport de l’ONU dénonce les crimes de guerre et contre l’humanité commis au Darfour, une région de l’ouest du Soudan dévastée par un conflit depuis 2003. La crise connaît un écho mondial. En France, les candidats à l’élection présidentielle s’engagent à agir.
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L’Arche de Zoé lance sa campagne humanitaire en avril. L’objectif ? Évacuer vers l’Europe des orphelins du Darfour. Pour collecter des dons et recruter des familles d’accueil, l’association communique sur les forums d’adoption, ce qui contribue à l’ambiguïté de son message. Dans une vidéo qu’elle réalise par ailleurs, des images-chocs – paysages jonchés de cadavres, enfants malades et dénutris -, et un appel : « Il faut agir pour sauver ces enfants. Maintenant ! Dans quelques mois ils seront morts. » Le ministère des Affaires étrangères met en garde : le droit soudanais ne reconnaît pas l’adoption. Mais les familles passent outre et se rassemblent au sein d’une association : le Collectif des familles pour les orphelins du Darfour (Cofod).
En septembre, les membres de l’Arche de Zoé partent pour le Tchad, sous couvert d’une autre ONG, Children rescue. Ils installent leur centre d’hébergement et de soins à Abéché, à l’est du Tchad, et recueillent des enfants qu’ils croient orphelins avec l’aide de chefs de villages soudanais. Pour ces intermédiaires locaux, les enfants seront soignés puis scolarisés au Tchad. Un mensonge de l’ONG, qui ne dit pas un mot de l’évacuation prévue vers la France. Les employés tchadiens ne l’apprennent que la veille du départ. Et s’inquiètent d’avoir participé, à leurs dépens, à une imposture. Seule leur arrestation stoppera les humanitaires : le jeudi 25 octobre 2007, c’est le début d’une affaire judiciaire qui durera plus de six ans.
Dès sa révélation, une question : qui sont ces 103 enfants ? Difficile de statuer sur leur nationalité, leurs communautés étant implantées de part et d’autre de la frontière tchado-soudanaise. L’existence de liens de filiation, elle, fait peu de doutes : 91 enfants avaient « au moins une personne adulte qu’ils considèrent comme un parent », selon le rapport publié par l’Unicef.
De violentes réactions
Le lendemain de l’arrestation, Idriss Déby, le président tchadien, s’emporte : « C’est un enlèvement pur et simple d’enfants qui ont leur père et leur mère. » Allant même jusqu’à suspecter l’ONG de trafic d’organes. En France, la presse s’emballe. « Neuf Français soupçonnés de ‘trafic d’enfants’ arrêtés au Tchad », titre l’Agence France presse (AFP) le soir du 25 octobre.
Plus nous tentions de nous justifier, plus les médias nous enfonçaient
Le lendemain, elle relaie les propos de l’association Enfants du monde – droits de l’Homme (EMDH) qui dénonce les « nouveaux mercenaires de l’humanitaire ». Christine Péligat, la femme d’un des bénévoles incarcérés, a vécu une « descente aux enfers » : « Plus nous tentions de nous justifier, plus les médias nous enfonçaient. » Au plus haut de l’État, on dément tout soutien à l’association. Nicolas Sarkozy condamne une opération « illégale ». Après la libération des trois journalistes, il demande le jugement en France des six accusés : « J’irai chercher ceux qui restent, quoi qu’ils aient fait. » Le Tchad refuse, inflexible.
À N’Djaména et dans le reste du pays, la population manifeste son indignation depuis fin octobre. « Lors d’un transfert, une foule énorme nous jetait des pierres. Prête à nous égorger si nous descendions de voiture », se rappelle le photographe Jean-Daniel Guillou, l’un des neuf Français arrêtés. Les propos de Nicolas Sarkozy attisent le feu. L’Arche de Zoé est « une humiliation de plus », après la « traite des Noirs, la colonisation, le rôle de la France dans les guerres du Tchad », écrit Sonia Rolley, correspondante pour Radio France internationale (RFI), dans son livre. Les manifestations anti-françaises dégénèrent en une « incontrôlable chasse aux Blancs ». Pour Marie-Pierre Olphand, journaliste de RFI arrivée sur place afin de couvrir les événements : « L’affaire a eu un impact dévastateur sur le regard des Tchadiens sur les blancs, même de la part des enfants. »
Toutes les organisations humanitaires vont faire les frais de cette opération
Ce fiasco humanitaire allait-il mettre à mal le travail des ONG sur place ? « C’était leur crainte », indique la journaliste. Le 26 octobre, dans un communiqué de l’AFP, l’association Enfants du monde – droits de l’Homme (EMDH) s’insurge : « Et maintenant, ce sont toutes les organisations humanitaires qui vont faire les frais de cette opération. » Les membres de l’Arche de Zoé se voient affubler de tous les noms. Leur avocat, Gilbert Collard, dénonce une « cabale » à l’encontre d’un « concurrent ». La technique de défense des organisations humanitaires ? « Isoler ces dérives en affirmant que leurs commanditaires sont fous », pointe Blandine Destremau, sociologue spécialiste de la famille et de la politique sociale à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Si la méfiance règne quelque temps dans le pays, les tensions s’apaisent rapidement. « Le fait que les membres de l’Arche de Zoé aient été arrêtés, jugés et condamnés lourdement sur place a impressionné la population », affirme Rony Brauman, directeur d’études et conseiller-formateur à la fondation Médecins sans frontières.
Après la tempête, les acteurs de l’humanitaire ont tenté de comprendre. La majorité s’accorde sur un point : les membres de l’Arche de Zoé étaient persuadés de bien agir. « Devait-on laisser ces enfants mourir ou les évacuer ? », interpelle encore aujourd’hui Philippe Van Winkelberg, l’un des médecins de l’équipe.
Ils ont baissé la garde sur la sélection des enfants
Pour Rony Brauman, les ONG étaient déjà suffisamment nombreuses sur place : « Le Darfour faisait l’objet d’une immense mobilisation internationale. Mais Éric Breteau et Émilie Lelouch n’ont pas voulu le voir », regrette-t-il. Ils se sont laissés emporter par leur cause. « Pris dans une sorte de devoir messianique, ils ont baissé la garde sur la sélection des enfants », estime Pierre Micheletti, vice-président d’Action contre la faim. Au point d’oublier l’essentiel : s’assurer que ces derniers étaient orphelins.
Le signe d’une forme d’amateurisme ? Les avis divergent. À écouter l’ex-président de Médecins sans frontières, les membres de l’ONG « ont fait preuve d’un grand professionnalisme : ils sont partis de rien, n’étaient pas connus, n’avaient pas d’expérience et ont pourtant réussi à récupérer des financements, faire affréter un Boeing et trouver des familles prêtes à accueillir ces enfants. Ce n’est pas rien. » D’autres, comme Blandine Destremau, estiment que c’est le manque de formation qui a conduit Éric Breteau et Émilie Lelouch à agir ainsi.
Si la professionnalisation des humanitaires ne date pas de l’affaire – on la voit se développer au début des années 1990 -, l’Arche de Zoé constitue tout de même un « cas d’école, un contre-exemple qui sert d’évidence », raconte Bertrand Quinet, qui enseigne depuis plus de quinze ans au sein de l’Institut Bioforce. « Dans nos formations, nous prenons soin d’outiller nos étudiants, de leur donner des grilles de compréhension du contexte sociologique et culturel du pays où ils effectuent leur mission, de manière à ce qu’ils évaluent mieux les manques des populations bénéficiaires », explique-t-il. « Avec l’analyse de l’Arche de Zoé, nous pointons les raisons de ses échecs, sa façon d’avoir identifié les besoins des populations, sa négligence du droit local, international et même français, ses relations avec les partenaires locaux, son manque d’éthique. »
Grâce à une formation adaptée, le secteur tente donc de se prémunir de ce type de dérives. Car le risque de porter un regard biaisé sur l’essence de l’humanitaire est toujours présent. L’erreur étant d’avoir une vision « binaire du monde : d’un côté ceux qui savent, de l’autre ceux qui ne savent pas ; d’un côté le bien, de l’autre le mal », comme le définit la sociologue Blandine Destremau.
Pour Rony Brauman, l’affaire de l’Arche de Zoé trouve justement sa source dans cette vision binaire. Cette conception philosophique et politique de l’humanitaire, il la tient pour responsable du scandale : « L’action qu’ils ont voulu mener s’appelle l’ingérence », résume-t-il. En d’autres termes, Éric Breteau et Émilie Lelouch ont voulu intervenir eux-mêmes, au Darfour, pour aider une population qu’ils estimaient en danger. Portés par des valeurs qui justifiaient d’enfreindre la loi. « Une ingérence morale, vaguement coloniale et paternaliste », conclut le membre de Médecins sans frontières. Même guidé par les meilleures intentions, on ne peut pas tout faire au nom de l’humanitaire.
À lire aussi sur L’imprévu | Au-delà du choc provoqué par l’affaire de l’Arche de Zoé, on observe depuis plusieurs années une forte baisse de l’adoption internationale. Un phénomène que L’imprévu vous propose d’explorer pour compléter votre lecture.
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Cette technique consiste à dégrader de la matière organique dans un milieu sans oxygène, grâce à l’action de bactéries. Le gaz produit, appelé « biogaz », peut ensuite être valorisé sous forme d’électricité ou de chaleur dans une centrale en cogénération. La capacité importante du méthaniseur voulue par le groupe Ramery lui permettrait de traiter les matières organiques issues de son élevage ainsi que des déchets extérieurs à l’exploitation.
Riches en azote, les effluents d’élevage – déjections animales (lisier, fumier), eaux de nettoyage des bâtiments… -, ne peuvent pas être rejetés directement dans la nature. L’épandage est l’une des méthodes de traitement autorisées. Elle consiste à répandre les effluents sur les terres agricoles. La superficie nécessaire est réglementée, afin de ne pas surcharger les terres en azote.
En septembre 2015, la cour d’appel d’Amiens allège les sanctions : les peines de prison avec sursis sont supprimées et remplacées par des amendes de 1 500 à 5 000€ avec sursis.
L’Institut de l’élevage est un organisme de recherche et de développement dont l’objectif est d’améliorer la compétitivité des élevages herbivores et de leurs filières. Il fonctionne avec le statut d’association loi 1901.
Parmi les piliers du modèle d’agriculture paysanne promu par le syndicat, l’autonomie est essentielle : dégager un revenu en maîtrisant les charges, faire ses propres choix ou limiter sa dépendance vis-à-vis de l’amont et de l’aval de la filière. Autre élément : faire en sorte que sa ferme soit transmissible, c’est-à-dire qu’elle puisse être reprise et permettre de dégager un revenu.
Le lait produit dans l’immense ferme picarde est désormais vendu en Belgique. Suite à la mobilisation contre le projet, une forme de boycott s’est mise en place en France. « Plus aucune enseigne de distribution ne veut de ce lait dans ses rayons ! », confiait ainsi en 2015 un représentant de la Confédération paysanne.
Alors qu’une ferme laitière compte en moyenne 58 vaches, celle des « mille vaches » détonne dans le paysage français. Érigée par ses détracteurs en symbole de l’industrialisation de l’agriculture, l’exploitation picarde se trouve depuis cinq ans au cœur d’un vaste imbroglio judiciaire. L’occasion de s’interroger sur l’avenir de la production laitière et de l’élevage français dans son ensemble.
18 février 2012. Des centaines de manifestants se donnent rendez-vous à Abbeville, dans la Somme, pour protester contre le projet d’installation d’une vaste ferme-usine. « Cruauté animale, argent sale », scandent les participants au rythme des tambours. En tête de cortège, un message s’affiche en lettres rouges sur une large banderole blanche : « Non à l’usine à vaches. Santé en danger ». C’est la première manifestation d’ampleur organisée par l’association Novissen – Nos villages se soucient de leur environnement – créée en novembre 2011 par un collectif de riverains opposés au projet. D’autres organisations la soutiennent, notamment la Confédération paysanne ou l’association L214, qui milite pour l’abolition de toute forme d’exploitation animale et donc de l’élevage. « Nous avons brandi nos pancartes pour la libération animale et la dénonciation de l’élevage intensif », se souvient Brigitte Gothière, porte-parole de l’association, « Les habitants étaient surpris de nous voir si nombreux, venus de loin pour soutenir leur cause. C’était notre première rencontre. » La première d’une longue série.
Quand la mobilisation grandit
Tout a commencé quelques mois plus tôt, en août 2011, alors que les habitants des communes picardes de Drucat-Le-Plessiel et Buigny-Saint-Maclou recevaient un avis d’enquête publique de la préfecture. L’objectif : évaluer le projet du groupe industriel Ramery d’exploiter un élevage laitier de 1 000 vaches (1 750 animaux au total avec les veaux et les génisses) associé à une unité de méthanisation d’une capacité de 1,489 mégawatt (MW), soit la consommation annuelle en électricité pour 280 familles. L’implantation, prévue à 600 mètres des premières maisons, inquiète les riverains : quel impact aura une telle installation sur la qualité de l’eau et de l’air ? Générera-t-elle des nuisances sonores ou olfactives ? Comment seront traités les animaux ? Malgré l’opposition de nombreux riverains et du conseil municipal de Drucat-Le-Plessiel, le commissaire enquêteur rend à la préfecture un avis favorable le 2 novembre 2011.
Conséquence, la mobilisation grandit autour de Novissen. L’association créée en novembre 2011 rallie à sa cause L214 et d’autres organisations, qui participent à la manifestation de février 2012. Fin 2012, plus de 32 000 opposants ont signé la pétition en ligne contre le projet. Ce qui n’empêche pas le groupe Ramery, au premier trimestre 2013, d’obtenir l’autorisation d’exploiter 500 vaches laitières sur 18 hectares et d’utiliser un méthaniseur de 1,338 MW. Pourquoi une telle limitation ? Car le promoteur ne dispose pas d’une superficie suffisante pour épandre le lisier qui serait produit par un cheptel plus grand. Le permis de construire, lui, est autorisé pour des installations pouvant accueillir 1000 vaches. Laissant la possibilité à l’exploitant d’augmenter son cheptel si ses capacités d’épandage augmentent.
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L'association Novissen, lancée par des riverains, se trouve depuis plusieurs années à la tête de la contestation. (Crédit photo Francis Chastagner)
D’actions militantes en procès
Le conflit se durcit lorsque la construction démarre. Pour ses détracteurs, la future ferme sera responsable de tous les maux : maltraitance animale, désertification rurale, pollution…
Nous n’arrivions pas à nous faire entendre des instances officielles
En mai 2013, les premières actions en justice entreprises par Novissen et la mairie de Drucat se soldent par des échecs. La mobilisation prend une nouvelle tournure avec la Confédération paysanne, qui s’invite à deux reprises sur l’exploitation en septembre 2013 puis mai 2014. En point d’orgue de cet engagement militant, le démontage de pièces de la salle de traite. Pièces apportées par Laurent Pinatel, porte-parole du syndicat, à Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture. « Nous n’arrivions pas à nous faire entendre des instances officielles », justifie Michèle Roux, secrétaire nationale à la Confédération paysanne. L’exploitant, lui, pointe de graves dégâts matériels.
La tension monte encore d’un cran en septembre 2014, lorsque les 150 premières vaches arrivent sur l’exploitation en pleine nuit, sous la protection de la gendarmerie. Alors que les premières traites sont réalisées, les militants bloquent le site. Si bien que le ministère de l’Agriculture organise en urgence une réunion de crise avec les protagonistes. L’occasion d’aborder deux points sensibles : le nombre de vaches laitières – maintenu à 500 – et la puissance du méthaniseur, que l’exploitant décide de limiter à 0,6 MW. Fin octobre 2014 se tient le procès de neuf militants convoqués au tribunal correctionnel d’Amiens pour leurs actions sur l’exploitation : six d’entre eux sont condamnés à des peines de deux à cinq mois de prison avec sursis et des amendes. De nombreux manifestants viennent faire le « procès de l’industrialisation de l’agriculture » à l’appel de la Confédération paysanne.
La ferme-usine, modèle agricole de demain ?
Comment expliquer l’ampleur de la mobilisation ? Pour différentes raisons, la ferme des « mille vaches » détonne dans le paysage agricole français. D’abord, la taille du cheptel prévue : 1000 vaches, c’est 17 fois plus que les 58 que comptent en moyenne les fermes laitières françaises. Deuxième élément, le capital n’est pas détenu par des agriculteurs mais par un investisseur, spécialisé dans le BTP, qui emploie des salariés.
Une vue aérienne de la ferme des « mille vaches », réalisée en février 2016. (CC BY-SA NB80)
Un modèle qui va à l’encontre de celui défendu par les syndicats agricoles : au sein des élevages français, le travail familial demeure en effet prépondérant. « Le projet du groupe Ramery devait être la vitrine d’un nouveau système pour la filière lait », affirme Francis Chastagner, président de Novissen. Économiste à l’Institut de l’élevage, Gérard You ne partage pas cet avis : « La ferme des 1 000 vaches est une exception qui le restera longtemps. C’est l’initiative d’un investisseur qui a construit une étable de toutes pièces. Combien de capitaux a-t-il injectés ? [entre 11 et 13 millions d’euros selon les estimations, NDLR] Cette expérience n’est pas reproductible. »
Tenir un élevage, c’est 10 à 12 h par jour, 365 jours par an
En revanche, la tendance est bien à l’agrandissement de la taille des élevages, confirme l’expert. Entre 1990 et 2010, le cheptel moyen a été multiplié par deux. Si un tel rythme se poursuit, le troupeau moyen comptera entre 200 et 250 vaches par ferme dans quarante ans. Pourquoi la taille des exploitations ne cesse-t-elle d’augmenter ? « Car les installations ne suffisent pas à remplacer les départs en retraite », répond Gérard You. Le métier d’éleveur n’attire plus. En cause, de dures conditions de travail : « Tenir un élevage, c’est 10 à 12 h par jour, 365 jours par an », compte Luc Smessaert, éleveur laitier et vice-président de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles). Lui estime que l’avenir de la filière passe par le collectif, c’est-à-dire l’installation à plusieurs et le regroupement de cheptels, pour répartir la charge de travail.
Deuxième difficulté : un prix du lait trop bas. « Si bien que pour dégager un revenu, l’éleveur a le choix entre deux voies », résume Gérard You. Celle de l’agrandissement et de l’augmentation de la productivité : c’est la voie intensive dominante. Ou celle, minoritaire, qui consiste à créer de la valeur ajoutée grâce à une production de qualité (label rouge, agriculture biologique…), la transformation à la ferme et la vente en circuits courts. Michèle Roux, éleveuse laitière bio en Dordogne, a choisi la deuxième voie. Pour cette élue de la Confédération paysanne, l’agrandissement est un non-sens : « On voit bien que les paysans qui s’agrandissent ne s’en sortent pas. Par contre, on peut gagner notre vie avec un élevage de 50 à 60 vaches, à condition de réduire ses charges au minimum. »
À ce tarif-là, on ne peut pas gagner sa vie. C’est la mort des paysans
Encore faut-il que le prix du lait soit suffisamment rémunérateur. C’est-à-dire à 400€ la tonne, estime Michèle Roux. Les opposants à la ferme des « mille vaches » accusent le groupe Ramery de tirer les prix vers le bas. « Au démarrage du projet, le promoteur annonçait un prix de vente du lait à 270€ la tonne. À ce tarif-là, on ne peut pas gagner sa vie. C’est la mort des paysans », dénonce l’éleveuse. Depuis, la fin des quotas laitiers a aggravé la situation : la surproduction de lait a précipité la filière dans la crise.
L'animal, « une machine à produire »
Aujourd’hui, la ferme géante produit 26 000 litres de lait chaque jour. Environ 780 vaches sont traites trois fois dans la journée et chacune produit 34 litres de lait, d’après l’exploitant, qui nous a fourni ces quelques informations par e-mail mais ne souhaitait pas être interrogé. Une productivité record que regrette Jocelyne Porcher, sociologue à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) : « L’animal n’a pas d’existence propre. Il ne sert qu’à générer du profit. » Un tournant opéré au moment de la révolution industrielle : « À cette époque, la nature est devenue une ressource à exploiter, et l’animal une machine à produire », rappelle la sociologue. À partir des années 1950, la révolution agricole accélère cette transformation. Exemple éloquent, la capacité laitière des vaches françaises a triplé entre 1950 et 2000, passant d’environ de 2 000 à 5 000 litres de lait par an et par vache en moyenne. Cette « manière dont les animaux sont exploités », Brigitte Gothière, de l’association militante L214, la dénonce : « C’est la cause d’une grande misère animale et humaine. »
En l'espace de quelques décennies, le visage des exploitations laitières s'est transformé. (Illustration CC BY State Library of South Australia)
À la ferme des « mille vaches », les animaux vivent dans une étable de plus de 200 mètres de long, ouverte sur l’extérieur. Chaque vache dispose d’une aire de vie de 10 mètres carrés minimum et peut se déplacer librement dans des espaces plus vastes, décrit l’exploitant. En revanche, les animaux ne pâturent pas. Ils mangent du maïs et du soja à la place de l’herbe. Ce fonctionnement est-il inhérent à l’agrandissement des cheptels ? « En France, c’est une réalité : plus le troupeau est grand, plus les vaches passent de temps en bâtiment et moins elles pâturent », constate Marie-Pierre Jacqueroud, chef de service à l’Institut de l’élevage. Les grands troupeaux nécessitent une gestion technique plus fine, estime la spécialiste, afin de prévoir les besoins en alimentation ou minimiser les risques sanitaires. « Séparer le troupeau en lots de vaches homogènes permet de faciliter cette gestion. Par exemple, on peut distinguer les primipares, les multipares… », ajoute Marie-Pierre Jacqueroud.
Et la vache, comment vit-elle dans un grand troupeau ? Si l’élevage est découpé en lots, sur le plan social, « l’animal ne ressent pas la taille du troupeau comme une contrainte », indique François Courouble, vétérinaire référent au Syndicat national des groupements techniques vétérinaires. Certes, mais qu’en est-il de l’enfermement ? « C’est une forme de maltraitance structurelle », tranche Brigitte Gothière, de l’association L214.
On va toujours plus loin dans la désaffection pour les animaux
Chercheur à l’Inra et responsable du réseau AgriBEA (qui planche sur le bien-être des animaux de ferme), Alain Boissy tempère : « Le bien-être animal est une notion complexe. Ce n’est ni tout blanc pour les élevages de plein air, ni tout noir pour les élevages intensifs. » Pour autant, la vache aime se déplacer, brouter l’herbe, se coucher, se frotter… Peut-on vraiment lui permettre d’exprimer ses comportements naturels dans un bâtiment ? « Si la vache dispose d’une place pour se coucher, d’un parcours, d’un sol de bonne qualité…, il n’y a pas de raison que son bien-être soit affecté », estime Marie-Pierre Jacqueroud. Jocelyne Porcher, elle, regrette cette tendance à l’enfermement des animaux : « On sépare l’animal de son monde propre. Les vaches ne peuvent ni brouter, ni choisir d’être au soleil ou sous la pluie… Elles s’ennuient, c’est d’une tristesse infinie. On va toujours plus loin dans la désaffection pour les animaux. Les ouvriers de la ferme des mille vaches ne peuvent pas donner de sens à leur travail, ce doit être une réelle souffrance. Pourtant, l’élevage, c’est l’histoire d’une relation joyeuse entre l’homme et l’animal. »
La taille du cheptel au centre des tensions
À la ferme géante, rares sont ceux qui acceptent de témoigner. Le 8 juin 2015, le site Reporterre publiait le récit accablant d’un anonyme. Des vaches en mauvaise santé, des employés maltraités, un cheptel de plus de 700 vaches… Suite à ces révélations, un contrôle des services de l’État a confirmé le dépassement du nombre de vaches autorisées (796 bêtes), mais démenti les mauvaises conditions sanitaires.
Le groupe Ramery a mis en place la plus importante exploitation laitière de France. (Illustration CC BY Schweizer Tierschutz STS)
Malgré les mesures prises par la préfecture, la ferme géante n’a pas réduit son troupeau. À la demande de l’exploitant, le tribunal administratif d’Amiens a même suspendu la mise en demeure et l’astreinte journalière auxquelles était soumise la ferme, au motif que l’extension du troupeau n’a pas entraîné « de modification substantielle des conditions d’exploitation ». Une décision confirmée, sur la forme, par le Conseil d’État en juillet 2016. Aussi, sa demande d’extension du cheptel à 880 vaches laitières a été prise en compte. Dans le cadre d’une procédure simplifiée de regroupement d’élevages, l’enquête publique s’est soldée par un avis consultatif favorable en février 2016. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Dans un courrier du 2 mai au préfet de la Somme, Ségolène Royal estimait que cette procédure n’était pas adaptée, et demandait le recours à une nouvelle procédure d’autorisation, avec étude d’impact et enquête publique.
Si la ferme des « mille vaches » n’a pas fini de faire parler d’elle, d’autres conflits se cristallisent de part et d’autre de l’hexagone. Mille veaux, 250 000 poules pondeuses, 12 000 porcs… Des projets agricoles qui voient s’affronter des visions contradictoires de l’élevage français.
Si la ferme des « mille vaches » a suscité une telle polémique auprès de la population des communes limitrophes, c’est en grande partie par son recours à la méthanisation. Une technique sur laquelle L’imprévu se penchait il y a quelques mois et qui est utilisée pour produire de l’énergie à partir de matière organique (du fumier notamment). Défendue par la ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, Ségolène Royal, elle demeure encore risquée. Pour les agriculteurs qui s’y convertissent, les promesses de rentabilité tardent souvent à se concrétiser. Sans parler du bouleversement dans leurs méthodes de travail, entraîné par ces nouvelles activités.
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