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Cette technique consiste à dégrader de la matière organique dans un milieu sans oxygène, grâce à l’action de bactéries. Le gaz produit, appelé « biogaz », peut ensuite être valorisé sous forme d’électricité ou de chaleur dans une centrale en cogénération. La capacité importante du méthaniseur voulue par le groupe Ramery lui permettrait de traiter les matières organiques issues de son élevage ainsi que des déchets extérieurs à l’exploitation.
Riches en azote, les effluents d’élevage – déjections animales (lisier, fumier), eaux de nettoyage des bâtiments… -, ne peuvent pas être rejetés directement dans la nature. L’épandage est l’une des méthodes de traitement autorisées. Elle consiste à répandre les effluents sur les terres agricoles. La superficie nécessaire est réglementée, afin de ne pas surcharger les terres en azote.
En septembre 2015, la cour d’appel d’Amiens allège les sanctions : les peines de prison avec sursis sont supprimées et remplacées par des amendes de 1 500 à 5 000€ avec sursis.
L’Institut de l’élevage est un organisme de recherche et de développement dont l’objectif est d’améliorer la compétitivité des élevages herbivores et de leurs filières. Il fonctionne avec le statut d’association loi 1901.
Parmi les piliers du modèle d’agriculture paysanne promu par le syndicat, l’autonomie est essentielle : dégager un revenu en maîtrisant les charges, faire ses propres choix ou limiter sa dépendance vis-à-vis de l’amont et de l’aval de la filière. Autre élément : faire en sorte que sa ferme soit transmissible, c’est-à-dire qu’elle puisse être reprise et permettre de dégager un revenu.
Le lait produit dans l’immense ferme picarde est désormais vendu en Belgique. Suite à la mobilisation contre le projet, une forme de boycott s’est mise en place en France. « Plus aucune enseigne de distribution ne veut de ce lait dans ses rayons ! », confiait ainsi en 2015 un représentant de la Confédération paysanne.
Alors qu’une ferme laitière compte en moyenne 58 vaches, celle des « mille vaches » détonne dans le paysage français. Érigée par ses détracteurs en symbole de l’industrialisation de l’agriculture, l’exploitation picarde se trouve depuis cinq ans au cœur d’un vaste imbroglio judiciaire. L’occasion de s’interroger sur l’avenir de la production laitière et de l’élevage français dans son ensemble.
18 février 2012. Des centaines de manifestants se donnent rendez-vous à Abbeville, dans la Somme, pour protester contre le projet d’installation d’une vaste ferme-usine. « Cruauté animale, argent sale », scandent les participants au rythme des tambours. En tête de cortège, un message s’affiche en lettres rouges sur une large banderole blanche : « Non à l’usine à vaches. Santé en danger ». C’est la première manifestation d’ampleur organisée par l’association Novissen – Nos villages se soucient de leur environnement – créée en novembre 2011 par un collectif de riverains opposés au projet. D’autres organisations la soutiennent, notamment la Confédération paysanne ou l’association L214, qui milite pour l’abolition de toute forme d’exploitation animale et donc de l’élevage. « Nous avons brandi nos pancartes pour la libération animale et la dénonciation de l’élevage intensif », se souvient Brigitte Gothière, porte-parole de l’association, « Les habitants étaient surpris de nous voir si nombreux, venus de loin pour soutenir leur cause. C’était notre première rencontre. » La première d’une longue série.
Quand la mobilisation grandit
Tout a commencé quelques mois plus tôt, en août 2011, alors que les habitants des communes picardes de Drucat-Le-Plessiel et Buigny-Saint-Maclou recevaient un avis d’enquête publique de la préfecture. L’objectif : évaluer le projet du groupe industriel Ramery d’exploiter un élevage laitier de 1 000 vaches (1 750 animaux au total avec les veaux et les génisses) associé à une unité de méthanisation d’une capacité de 1,489 mégawatt (MW), soit la consommation annuelle en électricité pour 280 familles. L’implantation, prévue à 600 mètres des premières maisons, inquiète les riverains : quel impact aura une telle installation sur la qualité de l’eau et de l’air ? Générera-t-elle des nuisances sonores ou olfactives ? Comment seront traités les animaux ? Malgré l’opposition de nombreux riverains et du conseil municipal de Drucat-Le-Plessiel, le commissaire enquêteur rend à la préfecture un avis favorable le 2 novembre 2011.
Conséquence, la mobilisation grandit autour de Novissen. L’association créée en novembre 2011 rallie à sa cause L214 et d’autres organisations, qui participent à la manifestation de février 2012. Fin 2012, plus de 32 000 opposants ont signé la pétition en ligne contre le projet. Ce qui n’empêche pas le groupe Ramery, au premier trimestre 2013, d’obtenir l’autorisation d’exploiter 500 vaches laitières sur 18 hectares et d’utiliser un méthaniseur de 1,338 MW. Pourquoi une telle limitation ? Car le promoteur ne dispose pas d’une superficie suffisante pour épandre le lisier qui serait produit par un cheptel plus grand. Le permis de construire, lui, est autorisé pour des installations pouvant accueillir 1000 vaches. Laissant la possibilité à l’exploitant d’augmenter son cheptel si ses capacités d’épandage augmentent.
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L'association Novissen, lancée par des riverains, se trouve depuis plusieurs années à la tête de la contestation. (Crédit photo Francis Chastagner)
D’actions militantes en procès
Le conflit se durcit lorsque la construction démarre. Pour ses détracteurs, la future ferme sera responsable de tous les maux : maltraitance animale, désertification rurale, pollution…
Nous n’arrivions pas à nous faire entendre des instances officielles
En mai 2013, les premières actions en justice entreprises par Novissen et la mairie de Drucat se soldent par des échecs. La mobilisation prend une nouvelle tournure avec la Confédération paysanne, qui s’invite à deux reprises sur l’exploitation en septembre 2013 puis mai 2014. En point d’orgue de cet engagement militant, le démontage de pièces de la salle de traite. Pièces apportées par Laurent Pinatel, porte-parole du syndicat, à Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture. « Nous n’arrivions pas à nous faire entendre des instances officielles », justifie Michèle Roux, secrétaire nationale à la Confédération paysanne. L’exploitant, lui, pointe de graves dégâts matériels.
La tension monte encore d’un cran en septembre 2014, lorsque les 150 premières vaches arrivent sur l’exploitation en pleine nuit, sous la protection de la gendarmerie. Alors que les premières traites sont réalisées, les militants bloquent le site. Si bien que le ministère de l’Agriculture organise en urgence une réunion de crise avec les protagonistes. L’occasion d’aborder deux points sensibles : le nombre de vaches laitières – maintenu à 500 – et la puissance du méthaniseur, que l’exploitant décide de limiter à 0,6 MW. Fin octobre 2014 se tient le procès de neuf militants convoqués au tribunal correctionnel d’Amiens pour leurs actions sur l’exploitation : six d’entre eux sont condamnés à des peines de deux à cinq mois de prison avec sursis et des amendes. De nombreux manifestants viennent faire le « procès de l’industrialisation de l’agriculture » à l’appel de la Confédération paysanne.
La ferme-usine, modèle agricole de demain ?
Comment expliquer l’ampleur de la mobilisation ? Pour différentes raisons, la ferme des « mille vaches » détonne dans le paysage agricole français. D’abord, la taille du cheptel prévue : 1000 vaches, c’est 17 fois plus que les 58 que comptent en moyenne les fermes laitières françaises. Deuxième élément, le capital n’est pas détenu par des agriculteurs mais par un investisseur, spécialisé dans le BTP, qui emploie des salariés.
Une vue aérienne de la ferme des « mille vaches », réalisée en février 2016. (CC BY-SA NB80)
Un modèle qui va à l’encontre de celui défendu par les syndicats agricoles : au sein des élevages français, le travail familial demeure en effet prépondérant. « Le projet du groupe Ramery devait être la vitrine d’un nouveau système pour la filière lait », affirme Francis Chastagner, président de Novissen. Économiste à l’Institut de l’élevage, Gérard You ne partage pas cet avis : « La ferme des 1 000 vaches est une exception qui le restera longtemps. C’est l’initiative d’un investisseur qui a construit une étable de toutes pièces. Combien de capitaux a-t-il injectés ? [entre 11 et 13 millions d’euros selon les estimations, NDLR] Cette expérience n’est pas reproductible. »
Tenir un élevage, c’est 10 à 12 h par jour, 365 jours par an
En revanche, la tendance est bien à l’agrandissement de la taille des élevages, confirme l’expert. Entre 1990 et 2010, le cheptel moyen a été multiplié par deux. Si un tel rythme se poursuit, le troupeau moyen comptera entre 200 et 250 vaches par ferme dans quarante ans. Pourquoi la taille des exploitations ne cesse-t-elle d’augmenter ? « Car les installations ne suffisent pas à remplacer les départs en retraite », répond Gérard You. Le métier d’éleveur n’attire plus. En cause, de dures conditions de travail : « Tenir un élevage, c’est 10 à 12 h par jour, 365 jours par an », compte Luc Smessaert, éleveur laitier et vice-président de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles). Lui estime que l’avenir de la filière passe par le collectif, c’est-à-dire l’installation à plusieurs et le regroupement de cheptels, pour répartir la charge de travail.
Deuxième difficulté : un prix du lait trop bas. « Si bien que pour dégager un revenu, l’éleveur a le choix entre deux voies », résume Gérard You. Celle de l’agrandissement et de l’augmentation de la productivité : c’est la voie intensive dominante. Ou celle, minoritaire, qui consiste à créer de la valeur ajoutée grâce à une production de qualité (label rouge, agriculture biologique…), la transformation à la ferme et la vente en circuits courts. Michèle Roux, éleveuse laitière bio en Dordogne, a choisi la deuxième voie. Pour cette élue de la Confédération paysanne, l’agrandissement est un non-sens : « On voit bien que les paysans qui s’agrandissent ne s’en sortent pas. Par contre, on peut gagner notre vie avec un élevage de 50 à 60 vaches, à condition de réduire ses charges au minimum. »
À ce tarif-là, on ne peut pas gagner sa vie. C’est la mort des paysans
Encore faut-il que le prix du lait soit suffisamment rémunérateur. C’est-à-dire à 400€ la tonne, estime Michèle Roux. Les opposants à la ferme des « mille vaches » accusent le groupe Ramery de tirer les prix vers le bas. « Au démarrage du projet, le promoteur annonçait un prix de vente du lait à 270€ la tonne. À ce tarif-là, on ne peut pas gagner sa vie. C’est la mort des paysans », dénonce l’éleveuse. Depuis, la fin des quotas laitiers a aggravé la situation : la surproduction de lait a précipité la filière dans la crise.
L'animal, « une machine à produire »
Aujourd’hui, la ferme géante produit 26 000 litres de lait chaque jour. Environ 780 vaches sont traites trois fois dans la journée et chacune produit 34 litres de lait, d’après l’exploitant, qui nous a fourni ces quelques informations par e-mail mais ne souhaitait pas être interrogé. Une productivité record que regrette Jocelyne Porcher, sociologue à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) : « L’animal n’a pas d’existence propre. Il ne sert qu’à générer du profit. » Un tournant opéré au moment de la révolution industrielle : « À cette époque, la nature est devenue une ressource à exploiter, et l’animal une machine à produire », rappelle la sociologue. À partir des années 1950, la révolution agricole accélère cette transformation. Exemple éloquent, la capacité laitière des vaches françaises a triplé entre 1950 et 2000, passant d’environ de 2 000 à 5 000 litres de lait par an et par vache en moyenne. Cette « manière dont les animaux sont exploités », Brigitte Gothière, de l’association militante L214, la dénonce : « C’est la cause d’une grande misère animale et humaine. »
En l'espace de quelques décennies, le visage des exploitations laitières s'est transformé. (Illustration CC BY State Library of South Australia)
À la ferme des « mille vaches », les animaux vivent dans une étable de plus de 200 mètres de long, ouverte sur l’extérieur. Chaque vache dispose d’une aire de vie de 10 mètres carrés minimum et peut se déplacer librement dans des espaces plus vastes, décrit l’exploitant. En revanche, les animaux ne pâturent pas. Ils mangent du maïs et du soja à la place de l’herbe. Ce fonctionnement est-il inhérent à l’agrandissement des cheptels ? « En France, c’est une réalité : plus le troupeau est grand, plus les vaches passent de temps en bâtiment et moins elles pâturent », constate Marie-Pierre Jacqueroud, chef de service à l’Institut de l’élevage. Les grands troupeaux nécessitent une gestion technique plus fine, estime la spécialiste, afin de prévoir les besoins en alimentation ou minimiser les risques sanitaires. « Séparer le troupeau en lots de vaches homogènes permet de faciliter cette gestion. Par exemple, on peut distinguer les primipares, les multipares… », ajoute Marie-Pierre Jacqueroud.
Et la vache, comment vit-elle dans un grand troupeau ? Si l’élevage est découpé en lots, sur le plan social, « l’animal ne ressent pas la taille du troupeau comme une contrainte », indique François Courouble, vétérinaire référent au Syndicat national des groupements techniques vétérinaires. Certes, mais qu’en est-il de l’enfermement ? « C’est une forme de maltraitance structurelle », tranche Brigitte Gothière, de l’association L214.
On va toujours plus loin dans la désaffection pour les animaux
Chercheur à l’Inra et responsable du réseau AgriBEA (qui planche sur le bien-être des animaux de ferme), Alain Boissy tempère : « Le bien-être animal est une notion complexe. Ce n’est ni tout blanc pour les élevages de plein air, ni tout noir pour les élevages intensifs. » Pour autant, la vache aime se déplacer, brouter l’herbe, se coucher, se frotter… Peut-on vraiment lui permettre d’exprimer ses comportements naturels dans un bâtiment ? « Si la vache dispose d’une place pour se coucher, d’un parcours, d’un sol de bonne qualité…, il n’y a pas de raison que son bien-être soit affecté », estime Marie-Pierre Jacqueroud. Jocelyne Porcher, elle, regrette cette tendance à l’enfermement des animaux : « On sépare l’animal de son monde propre. Les vaches ne peuvent ni brouter, ni choisir d’être au soleil ou sous la pluie… Elles s’ennuient, c’est d’une tristesse infinie. On va toujours plus loin dans la désaffection pour les animaux. Les ouvriers de la ferme des mille vaches ne peuvent pas donner de sens à leur travail, ce doit être une réelle souffrance. Pourtant, l’élevage, c’est l’histoire d’une relation joyeuse entre l’homme et l’animal. »
La taille du cheptel au centre des tensions
À la ferme géante, rares sont ceux qui acceptent de témoigner. Le 8 juin 2015, le site Reporterre publiait le récit accablant d’un anonyme. Des vaches en mauvaise santé, des employés maltraités, un cheptel de plus de 700 vaches… Suite à ces révélations, un contrôle des services de l’État a confirmé le dépassement du nombre de vaches autorisées (796 bêtes), mais démenti les mauvaises conditions sanitaires.
Le groupe Ramery a mis en place la plus importante exploitation laitière de France. (Illustration CC BY Schweizer Tierschutz STS)
Malgré les mesures prises par la préfecture, la ferme géante n’a pas réduit son troupeau. À la demande de l’exploitant, le tribunal administratif d’Amiens a même suspendu la mise en demeure et l’astreinte journalière auxquelles était soumise la ferme, au motif que l’extension du troupeau n’a pas entraîné « de modification substantielle des conditions d’exploitation ». Une décision confirmée, sur la forme, par le Conseil d’État en juillet 2016. Aussi, sa demande d’extension du cheptel à 880 vaches laitières a été prise en compte. Dans le cadre d’une procédure simplifiée de regroupement d’élevages, l’enquête publique s’est soldée par un avis consultatif favorable en février 2016. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Dans un courrier du 2 mai au préfet de la Somme, Ségolène Royal estimait que cette procédure n’était pas adaptée, et demandait le recours à une nouvelle procédure d’autorisation, avec étude d’impact et enquête publique.
Si la ferme des « mille vaches » n’a pas fini de faire parler d’elle, d’autres conflits se cristallisent de part et d’autre de l’hexagone. Mille veaux, 250 000 poules pondeuses, 12 000 porcs… Des projets agricoles qui voient s’affronter des visions contradictoires de l’élevage français.
Si la ferme des « mille vaches » a suscité une telle polémique auprès de la population des communes limitrophes, c’est en grande partie par son recours à la méthanisation. Une technique sur laquelle L’imprévu se penchait il y a quelques mois et qui est utilisée pour produire de l’énergie à partir de matière organique (du fumier notamment). Défendue par la ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, Ségolène Royal, elle demeure encore risquée. Pour les agriculteurs qui s’y convertissent, les promesses de rentabilité tardent souvent à se concrétiser. Sans parler du bouleversement dans leurs méthodes de travail, entraîné par ces nouvelles activités.
L’appellation « agriculture biologique » suppose de respecter un cahier des charges qui varie selon le type d’exploitation : aucun pesticide ni OGM pour les cultures ; des aliments bio et un élevage en partie en plein air pour les bêtes.
Durant la période dite de « conversion », l’agriculteur respecte le cahier des charges de l’agriculture biologique, mais il ne bénéficie pas encore du label pour ses productions. La durée de la conversion varie grandement selon l’activité de la ferme : de six semaines pour les poules pondeuses à deux ans pour les cultures annuelles, voire trois ans pour les vignes.
La « Révolution verte » fait référence à la période des années 1960 à 1990 durant laquelle de nouvelles techniques ont permis d’augmenter la productivité agricole. Outre l’apparition de variétés de plantes à haut rendement, c’est surtout le recours massif aux pesticides et engrais de synthèse qui marque cette époque.
C’est sur ces mots que débute la première vidéo de celui qui se présente comme un « agrigeek ». Ce qui l’a motivé à filmer, jusqu’à aujourd’hui, plus de 170 séquences pour raconter son quotidien ? Son fils, moqué à l’école parce qu’il était enfant d’agriculteur.
Selon les chiffres communiqués par le directeur de l’Agence Bio, Florent Guhl, on recense environ 300 déconversions de fermes bios depuis le début de l’année 2016. La moitié d’entre elles s’expliqueraient par des raisons économiques, notamment la fin des aides à la conversion pour les agriculteurs ayant entamé la démarche il y a 5 ans. Sur la même période, plus de 1 300 exploitations se sont converties cependant.
L’agriculture biologique se répand, et pas seulement dans les rayonnages des supermarchés. Depuis 2014, les producteurs qui font le choix du mode de production bio sont de plus en plus nombreux. D’où vient cette vague de conversions ? Une exploration des fermes converties ou en voie de l’être donne au moins une réponse certaine. Si l’agriculture biologique gagne les terres françaises, son développement reste bien en deçà des ambitions affichées par les pouvoirs publics : seulement un quart de l’objectif national fixé pour 2020 a été atteint. Née du Grenelle de l’environnement, sur lequel nous revenions en avril dernier, cette promesse est restée en jachère. L’imprévu part à la rencontre de celles et ceux qui tentent de cultiver autrement : radiographie d’une France agricole qui peine à se verdir.
Pour l’occasion, les dorures des salons du ministère de l’Écologie avaient cédé leur place à de larges panneaux verts. Les sourires et les plantes parsemaient les couloirs. La nature semblait chez elle, tout comme ses porte-parole, rassemblés durant trois longues et prometteuses journées, en octobre 2007. Le Grenelle de l’environnement, la grand-messe écologique impulsée par le président de la République d’alors, Nicolas Sarkozy, battait son plein.
Autour de la table, des ministres, bien sûr, mais aussi des responsables d’ONG comme Yannick Jadot, ancien directeur des campagnes de Greenpeace France, ou Nicolas Hulot. Ce dernier, invité au journal de 20 heures de France 2 à la clôture des négociations, attribuait la note de « 18 sur 20 » au Gouvernement pour son volontarisme.
Parmi les mesures phares annoncées ce soir-là, il en est une qui a marqué le monde paysan. Gravée dans le marbre de la loi du 3 août 2009 relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, elle stipule que « l’État favorisera la production et la structuration de cette filière [de l’alimentation biologique, NDLR] pour que la surface agricole utile en agriculture biologique atteigne 6% en 2012 et 20% en 2020 ». Les agriculteurs allaient devoir multiplier par dix, en l’espace d’une décennie, la surface des terres cultivables lavées de tout produit chimique de synthèse.
Un coup d’œil aux derniers chiffres publiés par l’Agence Bio, l’organisme chargé de la promotion de l’agriculture biologique en France, montre que l’objectif sera difficilement atteignable : en 2015, seuls 5,1% de cette surface étaient passés en mode de production biologique.
Les décideurs du Grenelle de 2007 ont-ils vu plus vert que vert ? La crise agricole est-elle aussi responsable ? De l’avis des premiers intéressés, agriculteurs en conversion ou déjà convertis, la révolution biologique est bien en marche, mais pas pour demain.
Retour vers le futur
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Pour des agriculteurs de la génération de mon père, le bio était vu comme une déchéance
Renoncer à l’agriculture intensive et ses meilleurs alliés, les engrais et produits chimiques : l’idée semblait inconcevable pour de nombreux exploitants il y a encore quelques années, tant elle pouvait symboliser un retour vers le passé. « Pour des agriculteurs de la génération de mon père, le bio était vu comme une déchéance », raconte Thierry Baillet depuis sa ferme de Loos-en-Gohelle (Pas-de-Calais), où il fait pousser betteraves, carottes et pommes de terre sur plus de 80 hectares. Le producteur de 44 ans a pourtant décidé de franchir le pas de la conversion pour une partie de ses cultures, « pour tester », confie-t-il.
Si le mode de production biologique ne vient pas naturellement à l’esprit des plus anciens, c’est notamment car leur école d’agronomie ne l’avait jamais abordée. L’obligation de mentionner des exemples de cultures biologiques durant le cursus de formation agricole ne date que de 2008 en France. Cet effet de génération explique pour partie l’âge moyen des exploitants bios dans le pays : 45 ans, contre 50 ans pour leurs collègues restés en production conventionnelle.
Les agriculteurs bio sont en moyenne plus jeunes que leurs collègues en conventionnel (Illustration CC BY USDA)
« Après-guerre, on a inventé des produits [chimiques, NDLR] avec lesquels ‘tout marchait tout de suite’ », relate un chargé de mission de la Fédération nationale de l’agriculture biologique (FNAB), qui n’a pas souhaité être cité. Embrassé par un grand nombre d’exploitants, ce changement radical des méthodes de production a été baptisé « la Révolution verte ». « Pour un exploitant d’aujourd’hui, se passer de la chimie pour adopter des méthodes mécaniques est donc plutôt une innovation qu’un retour en arrière, car le bio crée de nouvelles contraintes techniques », poursuit le salarié de la FNAB. Sauf pour les quelques irréductibles de la première heure, qui n’ont jamais cédé aux sirènes phytosanitaires.
Loïc Villemin est de ceux-là. Il a repris l’élevage de vaches de son père, converti à l’agriculture biologique dès 1992, dans le département des Vosges. « Le label bio n’a rien changé à notre système de production. On allait déjà à contresens de la politique agricole qui demandait de produire plus pour nourrir la population », tranche l’agriculteur de 44 ans, qui reprend : « Ça a créé des frictions dans la région, vu que nous étions presque les seuls en bio. Mais mon père avait les épaules larges, ça ne l’a pas impressionné. »
Chers voisins
Car le voisinage peut bel et bien freiner la conversion d’un agriculteur au bio, psychologiquement du moins. Dubitatifs, méfiants voire malveillants, les riverains ont une incidence notable sur l’orientation d’une production. « Les agriculteurs qui se sont résolus au bio peuvent être victimes de stigmatisation », confirme-t-on à la FNAB. Les critiques sont susceptibles de pleuvoir si une maladie jusqu’alors traitée par les pesticides faisait son arrivée sur un territoire, par exemple.
D’année en année, les conversions font tache d’huile
La donne est pourtant en passe d’être changée. À mesure que le bio se répand sur un territoire, le voisin qui a décidé de transformer son mode de production peut aussi rassurer les indécis. « D’année en année, les conversions font tache d’huile », observe Simon Lenoir, co-animateur du Pôle Conversion bio Picardie, un organisme de sensibilisation et d’accompagnement des agriculteurs dans leur démarche vers le biologique. Son constat est d’autant plus éclairant qu’il rencontre chaque jour les producteurs de la région la plus à l’écart de la petite révolution biologique : avec seulement 1% de la surface agricole utile (SAU) en bio en 2015, les Hauts-de-France arrivent en queue de peloton, loin derrière la région Occitanie (10,4% de la SAU en bio).
« Les grandes disparités observées selon les territoires s’expliquent notamment par les spécialisations agricoles : plus de grandes cultures, donc de circuits longs, au Nord, davantage de fruits et légumes dans le Sud », indique Florent Guhl, directeur de l’Agence Bio, l’institution chargée de sensibiliser et de structurer les filières de l’agriculture biologique en France. « Mais il faut retenir une chose : plus les producteurs ont des lieux pour échanger, comme dans les coopératives où ils partagent le matériel, moins ils auront de réticences à la conversion », ajoute-t-il.
Pour Thierry Baillet, agriculteur en Hauts-de-France, l’idée de la conversion a justement germé en regardant de l’autre côté de la parcelle. « J’avais un collègue en bio depuis sept ans. Avec d’autres exploitants du coin, on s’est demandé comment il pouvait faire, techniquement et économiquement. » Avant de lui emboîter le pas et de commencer, avec cinq de ses collègues, à convertir 12 hectares de cultures.
Deux ans plus tard, le bilan est positif, bien que l’agriculteur reste prudent : « L’émulation a été décisive pour ceux comme moi qui ont envisagé de changer leurs pratiques. Mais je ne suis pas dogmatique pour autant, il me faut plus de recul pour migrer l’intégralité de mes cultures en bio ».
Ce sens de la nuance, Thierry Baillet le partage sur un canal plutôt original : sa chaîne YouTube. Sobrement intitulée « Thierry agriculteur d’aujourd’hui », elle rassemble des dizaines de vidéos à destination des professionnels, des étudiants en agronomie et de « tous ceux qui cherchent à comprendre [son] métier ». Il explique ne pas vouloir chercher à convaincre, même s’il a récemment lancé une nouvelle chaîne, « agriculteurbio », entièrement dédiée à ces méthodes de production nouvelles pour lui. Une manière de sensibiliser des voisins plus lointains, pas forcément acquis à la cause.
Le mode de production biologique est loin de fédérer le monde paysan (Illustration CC BY-SA Gimli_36)
La « lubie du bio »
« J’ai peur que […] tu perdes le suivi de nombreux agriculteurs qui sont ‘allergiques’ au bio », lance un internaute au bas d’une vidéo publiée par Thierry Baillet. « Je te regarde depuis presque le début et c’est le premier com’ que j’écris car il y en a ras-le-bol de cette lubie du bio. Si je me rappelle bien au départ, tu expliquais pourquoi on utilise des produits phyto et autres intrants chimiques pour que les gens comprennent qu’on ne pollue pas. Maintenant tu as perdu les premières valeurs de ta chaîne », commente un autre, qui se présente comme « un agriculteur breton ».
Vérifié par les chiffres — plus de 200 nouvelles fermes chaque mois en 2015 —, l’engouement pour l’agriculture biologique n’est pas sans faire de vagues. Au point qu’il ferait presque basculer la stigmatisation sur l’autre versant, celui des agriculteurs ayant toujours recours aux pesticides et engrais de synthèse.
« Depuis quelques années, il n’y a pas une semaine sans qu’on entende parler du bio dans les médias. Et c’est presque toujours en des termes positifs », se félicite Simon Lenoir, du Pôle Conversion bio Picardie. Le technicien agricole confie malgré tout que plusieurs agriculteurs en mode de production conventionnelle lui ont fait part de leur agacement devant les critiques qu’ils subissent dans les médias. Un numéro de l’émission d’enquête Cash Investigation, diffusé en février dernier sur France 2, a ainsi fait grincer des dents bon nombre de professionnels alors qu’il montrait des cultures arrosées de produits chimiques.
Entre les injonctions à manger sain dans les médias et la vitalité du marché — 5,5 milliards d’euros en 2015, soit 10% de plus qu’en 2014 selon l’Agence Bio —, difficile de résister à la dynamique de conversion vers une agriculture plus respectueuse de l’environnement.
Ce d’autant plus qu’un dernier facteur, peut-être plus important que tous les autres, entre en jeu : la crise des marchés agricoles, en particulier du lait. Le marasme économique dans lequel sont plongées les exploitations françaises depuis plusieurs années, et particulièrement depuis 2015, a paradoxalement orienté des milliers de producteurs sur le chemin de la conversion, malgré les incertitudes qui y sont liées.
D'après l'Agence Bio, 9 Français sur 10 ont consommé un aliment bio en 2015 (CC BY Christopher Paquette BO)
« L’agriculture biologique se développe quand l’agriculture conventionnelle ne va pas bien », résume Simon Lenoir, avant de poursuivre : « Or, que ce soit au niveau des prix ou des rendements, on vit une situation catastrophique, jamais vue depuis 35 ans en Picardie ». Distribués via des filières plus réduites qu’en alimentation « conventionnelle », les produits biologiques sont moins sujets à la volatilité des prix et, surtout, sont vendus bien plus chers que les produits conventionnels — de deux à trois fois plus pour les grandes cultures en 2015, par exemple —, assurant aux producteurs des revenus plus solides. L’hiver, quand les champs ont été délaissés pour faire les comptes de l’année écoulée, est ainsi propice aux remises en question pour les exploitants, explique le technicien agricole.
Maintenant qu’ils sont dans le trou, ils le font pour un revenu
Chez les convertis de la première heure comme Loïc Villemin, on accueille la « nouvelle vague » des fermes bio avec réserve. « Avant, les paysans se convertissaient en bio par idéologie, pour le bien de la terre. Maintenant qu’ils sont dans le trou, ils le font pour un revenu », juge-t-il, circonspect.
Un mal pour un bien ? Une à une, les barrières à la transformation des méthodes agricoles semblent se lever. L’objectif des 20% de la SAU française en bio à l’horizon 2020 restera sans doute un mirage, cependant. Une étude prospective du ministère de l’Agriculture, publiée en toute discrétion en mai dernier, table, pour son scénario le plus optimiste, sur 25% de la SAU en bio… en 2035.
En 2013, une enquête de l’Institut de veille sanitaire (INVS) tirait la sonnette d’alarme : près de cinq cent agriculteurs s’étaient donné la mort entre 2007 et 2009, plaçant le suicide comme troisième cause de décès après les cancers et les maladies cardiovasculaires. L’institut établissait un lien direct entre difficultés financières et suicide.
L’enquête publique dans laquelle les habitants de Dracé et alentours ont pu déposer leurs questions et doléances est consultable sur le site des services de l’État dans le Rhône.
L’association AILE (Association d’Initiatives Locales pour l’Énergie et l’Environnement) est une agence créée par l’ADEME Bretagne et les Coopératives d’utilisation de matériels agricoles de l’Ouest. Elle a pour but d’accompagner les agriculteurs — entre autres — , pour le développement de projets autour des énergies renouvelables.
En 2010, près de 35% des exploitations comptaient entre 50 et 200 hectares de surface agricole ; 50% des exploitations de céréales, de bovins et de viticulture étaient considérées comme moyennes et grandes exploitations.
Les difficultés financières de certains agriculteurs les poussent à trouver des moyens de rentabiliser leurs exploitations. La méthanisation — procédé qui permet de recycler les déchets d’une ferme, entre autres, en produisant de l’énergie —, se développe peu à peu à travers les campagnes. Au prix de sacrifices financiers pas toujours rentables.
« Je veux accorder une priorité à la production d’énergies renouvelables », déclarait Ségolène Royal, ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, le 28 février dernier au Salon de l’agriculture. Même si, à cette occasion, elle précisait aussi que la filière biogaz connaît encore aujourd’hui « beaucoup de difficultés » en France.
Toujours à la recherche d’une politique énergétique plus verte que le nucléaire, la ministre tenait alors l’une de ses nouvelles marottes : promouvoir le recyclage des déchets produits par l’agriculture en les utilisant pour produire de l’énergie et un compost à peine amélioré. Mais ce recyclage — via méthanisation, un procédé utilisé à foison chez nos voisins allemands —, peine à démarrer en France : alors qu’elles nécessitent un énorme investissement, les installations sont difficilement rentables pour les agriculteurs qui franchissent le pas. D’un grand plan de communication à la réalité sur le terrain, c’est un fossé qui s’est creusé entre exploitants, politiques et riverains opposés aux projets qui émergent à travers l’Hexagone.
Bras de fer
En apparence, la méthanisation n’a rien de compliqué : on place fumier et déchets organiques dans une grosse cuve, en bordure de l’exploitation agricole, pour produire de l’énergie. Grâce à la fermentation au sein de l’installation, de l’électricité et de la chaleur sont générées. La première est revendue à EDF, la seconde, elle, alimente la ferme et les éventuelles habitations alentour. Dernière production, et non des moindres : du « digestat », sorte d’engrais encore considéré comme un déchet par la législation française. En plus de ces apports, les agriculteurs peuvent également récolter et « traiter » les déchets d’autres producteurs, touchant alors une redevance pour chaque livraison.
En parallèle d’une exploitation, la méthanisation peut donc apporter des recettes supplémentaires, à l’heure où les finances ne sont pas des plus stables. C’est une des solutions choisie par la famille Auclair afin de diversifier ses revenus. À mi-chemin entre Mâcon et Villefranche-sur-Saône : Dracé (Rhône) et ses 988 habitants au dernier recensement en 2012. Depuis quelques mois, leur projet d’unité de méthanisation cristallise certaines tensions et fait grincer des dents : une poignée d’habitants, regroupés en association, milite contre l’arrivée d’une telle technique en bordure de leurs maisons et de leurs champs. Depuis, les « pro » et les « anti » s’échangent tags sur les murs et déploiements de banderoles à travers champs. La tension est palpable.
Champs à Dracé / Illustration CC By-nc-sa Claire Berthelemy
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Dans le paysage, le « digesteur », avec ses formes disgracieuses et son toit bombé, peut faire plusieurs mètres de haut. Surtout, il n’augure rien de bon dans l’esprit des voisins.
En juin 2014, les habitants du canton de Belleville — Dracé et alentours —, ont appris l’existence de ce projet par voie d’affichage en mairie. Disposant de 30 jours pour poser leurs questions lors d’une enquête publique, une partie des habitants des quinze communes limitrophes et de la commune concernée a vu rouge : quelles odeurs allaient donc se dégager de la cuve alors que leurs champs sont déjà bordés de tas de fumiers malodorants ? Combien de camions pourraient être amenés à passer à travers les villages ? Qui donc allait payer les réparations de la voirie si nécessaire ? Et quels étaient les risques d’une telle installation ?
Parmi les 16 communes interrogées, 9 ont été comptées comme étant favorables au projet dans l’enquête publique — uniquement consultative. La raison ? « Non réponse dans les délais ». Qui ne dit mot consent. Alors, les riverains se sont organisés. Si le projet se confirmait, 17 camions devraient emprunter tous les jours et plusieurs fois par jour une route, peu utilisée jusqu’à présent, mais contraignante pour les routiers. Jérémy Lhadi, président de l’Association Espace Nature Vallée Beaujolaise (AENVB), craint que le trajet ne soit pas respecté et que les camions finissent par traverser le centre des villages pour parvenir jusqu’à la ferme Auclair. Dans l’enquête publique, une riveraine demande : « Si ultérieurement un élargissement de la route communale s’avère nécessaire, devra-t-il être pris en charge par la commune ? ». Un autre couple dénonce un projet « qui n’a rien d’une méthanisation à la ferme : il s’agit bien d’une production industrielle, ce qui est tout à fait inacceptable ».
Dans une ville voisine, un retraité — qui a souhaité rester anonyme —, habite à proximité du site retenu et sa maison se trouve en bordure d’une parcelle de champs concernée par l’épandage de digestat. De son côté, il craint principalement les nuisances olfactives et les risques sur la santé, « pour le moment inconnus ».
Loïc Auclair — qui n’a jamais répondu à nos nombreuses demandes d’interview —, balaie le tout d’un revers de main. Il confiait à l’hebdomadaire local Le Patriote Beaujolais : « Une enquête odeur a été menée. Nous sommes à plus d’un kilomètre des premières maisons. Les gaz disparus, le digestat n’a plus cette odeur désagréable. Quant au trafic, cela va représenter trois à quatre camions par jour et quelques tracteurs, sur un axe où il en passe déjà ».
Tas de fumier / Illustration CC By Daniel Jolivet
La première difficulté pour l’entrepreneur du coin qui se lance dans un projet de ce type ? Rassurer les habitants. Ici, dans le Beaujolais, les riverains qui ont monté l’association pour lutter contre le projet ne sont pas foncièrement opposés, mais Jérémy Ladhi est formel : « Dans le procédé de méthanisation, le projet de Suez [partenaire de la famille Auclair via une filiale, NDLR] est de type 6b mixte, à cheval entre l’agricole et le recyclage de métaux. Ce sont 2 000 tonnes de déchets d’abattoirs, tel sang et viscères, et 500 tonnes en provenance de la SPA qui vont arriver sur le site pour être retraitées en énergie. En général, quand GDF fait ça, c’est qu’ils veulent prendre pied [sur le projet, NDLR], ils développent et éjectent ensuite l’agriculteur. » Il ajoute : « On n’est pas contre une unité de méthanisation, on ne serait ni réaliste, ni objectif. Ce qui nous dérange, c’est plutôt l’ampleur du projet et son emplacement. »
Mais Auclair père, qui élève 60 vaches allaitantes et 65 vaches laitières, est catégorique et il a mis toutes les chances de son côté pour monter son unité. Étude de faisabilité, enquête publique, consultation des communes alentour, démarchage d’entreprises privées pour le financement, rien n’a été laissé au hasard. Le temps de faire mûrir l’idée jusqu’à l’enquête publique, il s’est écoulé presque quatre ans.
Adeline Haumont, chargée d’études à l’association AILE, qui aide à structurer la filière, explique que « les temps sont longs : il faut avoir une certaine capacité à passer du temps à réfléchir son projet et à se former ». Et toutes les étapes sont nécessaires, y compris le dialogue avec les riverains ou les communes limitrophes, sous peine, au mieux, de voir son projet bloqué. Au pire, voué à l’échec. Un projet de cette ampleur qui échoue ? « Quand l’exploitation doit s’adapter au projet de méthanisation et pas l’inverse, déjà on part un peu moins bien », précise la jeune ingénieure. Si « le porteur part bille en tête mais ne produit pas assez d’effluents ou qu’il n’a pas de partenariat avec les voisins ou encore qu’il n’a pas assez de parcelles d’épandage, c’est compliqué », ajoute Adeline Haumont.
Parfois, « l’opposition peut faire capoter un projet ou le faire a minima ralentir », renchérit la chargée d’études. « Pour y parvenir il faut se faire aider, accompagner par des médiateurs ou revoir son projet : prévoir des choses pour les odeurs même si elles sont réduites par la méthanisation ou changer le trajet des camions », détaille celle qui accompagne l’association AILE depuis septembre dernier.
Le problème majeur pour les habitants concerne autant les nuisances que la transformation d’une agriculture purement fermière en une agriculture productrice d’énergie — dont une part serait revendue à EDF. Et si la méthanisation est loin de faire l’unanimité chez les riverains, elle n’est pas non plus la panacée chez les agriculteurs.
La peur – justifiée – du risque
À l’origine, si les agriculteurs se penchent sur la méthanisation, c’est avant tout parce qu’elle est portée politiquement et qu’elle apparaît comme potentielle solution pour pérenniser une installation agricole. Ou essayer de la viabiliser économiquement. « Les éleveurs sont confrontés de plus en plus à la volatilité des prix et, de fait, à des incertitudes qu’ils n’avaient pas avant, comme pour le lait », précise Adeline Haumont. Effectivement, comme les contrats d’achat ou de revente d’énergie sont conclus pour quinze ans, à l’instar de l’énergie éolienne, se tourner vers la méthanisation peut être gage de stabilité pour l’exploitant sous le joug de finances instables. Encore faut-il que l’installation soit rentable. Certains nouveaux arrivants se lancent parce qu’il apparaît parfois plus simple d’essayer de valoriser financièrement son entreprise déjà existante plutôt que d’aller chercher des hectares supplémentaires ou de nouvelles bêtes.
Mais si le recyclage se compte en tonnes, l’investissement représente aujourd’hui des millions d’euros. À Dracé, l’unité recevra 23 400 tonnes de fumier, de déchets de fruits et légumes et de déchets issus de l’industrie agroalimentaire par an. Pour faire passer ces milliers de tonnes en compost ou en biogaz, des millions d’euros sont à débourser. Et même si l’on sait les investissements colossaux dans l’agriculture, ici dans le Rhône, le consortium famille Auclair – Terralys (une filiale de Suez Environnement) a investi au total 6,4 millions d’euros, selon le rapport de l’enquête publique. Qu’il est évidemment prescrit de rentabiliser.
Burn after driving / Illustration CC by Joseph Sardin
« La production d’énergie par un moteur permet de récupérer de la chaleur qu’il faut valoriser et l’électricité est revendue sur du long terme », explique Adeline Haumont. En revendant l’énergie produite à EDF, les agriculteurs peuvent s’assurer un petit pécule. Ils peuvent aussi décider de l’utiliser eux-mêmes, par exemple pour sécher la luzerne. Le gaz, lui, servira à alimenter le moteur qui produira électricité et chaleur simultanément. Reste le digestat, répandu sur les terres alentour via des tracteurs ultra-perfectionnés, souvent à acheter puisque spécifiques à cette méthode d’épandage. Sauf qu’« en termes agronomiques c’est zéro et le statut est celui du déchet, au même titre que le fumier », précise la jeune ingénieure. En revanche, l’intérêt pour les éleveurs, notamment porcins, est clair : il est olfactif. Il n’y a plus l’odeur nauséabonde du fumier et le digestat est davantage hygiénisé. Ici encore, les intérêts de chacun font pencher la balance d’un côté ou de l’autre selon que les syndicats représentent des céréaliers ou des éleveurs.
Si les premiers s’avèrent peu favorables à une sortie du digestat du rayon « déchets » — ça ne leur coûte rien —, les seconds auraient tendance à vouloir sa valorisation, ne serait-ce que pour sa valeur marchande. Un rapport, daté de 2012 et conjoint aux ministères de l’Écologie et de l’Agriculture, soulignait : « On notera à ce sujet que la FNSEA se dit réticente à l’homologation des digestats. Elle préférerait faire subventionner les installations. De plus, les responsables agricoles ont souvent plusieurs casquettes et sont aussi des présidents de coopératives qui commercialisent des engrais et on ne peut exclure que le positionnement des opposants à la méthanisation agricole relève du conflit d’intérêt… »
L’argent comme nerf de la guerre n’a rien d’exceptionnel et les conflits d’intérêt ne sont pas spécifiques à la machine agricole. Mais entre les prêts à rembourser et l’achat de tracteurs réservés à ce type d’épandage, en passant par le besoin non anticipé en personnel, la facture peut être lourde au moment du passage en caisse. Elle peut amener à transformer en profondeur une exploitation agricole jusqu’à la « mille-vachiser ».
Une vision hype de la méthanisation
Aujourd’hui, les banques peuvent se montrer frileuses pour les investissements financiers du milieu agricole. Grâce à cette situation, les grosses entreprises du monde de l’énergie s’engouffrent dans un filon que les agriculteurs en manque de liquidité imaginent comme porte de sortie.
Les agriculteurs sont étroitement liés aux banques : leur « patrimoine est souvent hypothéqué », indique François Purseigle, professeur de sociologie des mondes agricoles à l’ENSAT (École nationale supérieure agronomique de Toulouse). Mais quid des grandes entreprises comme Véolia ou Suez environnement, via Terralys, nouvellement arrivées sur les projets de petite ou grande ampleur ? Elles abondent financièrement à travers des capitaux externes et la méthanisation, pour sa part, témoigne seulement de l’agriculture comme support ou « prétexte », avance François Purseigle. Si le recours à l’endettement est difficile via des canaux bancaires classiques, l’arrivée de ces nouveaux moyens d’investir tombe à point nommé, d’un côté comme de l’autre. Le chercheur précise : « Depuis 40 ans, les aides à l’installation sont liées à l’adoption d’un certain modèle d’exploitation. Donc vous n’obtenez des primes que si vous correspondez à des canaux, dictés par la profession. »
Et d’ajouter que la méthanisation, même si elle demande un soutien bancaire et éventuellement l’entrée d’un acteur extérieur au monde agricole, ne peut pas être considérée comme rupture de l’indépendance : « Les consommateurs qui veulent décider de tout ce qu’ils veulent acheter [en dépit des saisons, NDLR], y compris dans les AMAP, est-ce une bonne ou une mauvaise dépendance ? Ils peuvent être aussi obtus que les grosses entreprises. »
Plantations / Illustration CC By-nc-sa Claire Berthelemy
Pression des banques qui soutiennent, logiquement, des projets porteurs ; pression des grands acteurs industriels séduits par des idées modernes ; et soutien du secteur public qui pousse à la méthanisation comme on a soutenu financièrement l’éolien ou solaire, le tableau ne serait pas complet sans le consommateur. La standardisation — coûteuse en investissements — « est liée aux souhaits des industriels, mais aussi d’une partie des consommateurs qui veulent des produits identiques dans les supermarchés », ajoute François Purseigle. Cette pression grandissante stimule parfois les agriculteurs à adopter des projets pour lesquels ils ne sont pas toujours armés.
Francis Claudepierre est éleveur de vaches laitières à Migneville, du côté de Nancy (Lorraine). L’un des précurseurs de la méthanisation en France — il a monté sa première installation en 2002 et une seconde en 2008 —, raconte : « On a été livrés à nous-mêmes, aidés pour les investissements, pour construire, mais pas par l’administration qui, à l’époque, a tout fait pour nous ralentir. On faisait quelque chose qui n’existait pas et pour laquelle il n’y avait aucune case à cocher ! ». Trois ans se sont écoulés entre le montage du projet et sa mise en route. « On était seuls et désespérés, on a défriché le terrain, on a dû essuyer les plâtres », se souvient l’agriculteur — ancien maire du village —, qui n’avait pas encore le tarif de rachat pour sa première installation, rentable aujourd’hui. Alors qu’il n’était pas soutenu à l’époque, Francis Claudepierre épaule à son tour des agriculteurs qui voudraient se lancer, malgré les difficultés et les doutes rencontrés dans cette voie de diversification : pas vraiment armés et pas toujours de gaieté de coeur.
Logique d'entreprise
Il faut une certaine connaissance de la production d’énergie à partir de fumiers pour se lancer dans l’aventure. Mais les agriculteurs ne sont pas tous novices et ne débarquent pas les mains vides. « On se plante quand on résume les mouvements qui ont lieu aujourd’hui à un basculement : ça fait trente ans qu’on bascule », assène François Purseigle, qui ajoute : « On est passé d’un monde agricole paysan à des secteurs agricoles pluriels. Ce sont des mondes éclatés et très divers : les logiques d’exploitation et les projets sous-tendus pour l’activité sont différents ».
Logique d’entreprise ? L’agriculteur n’étant pas seulement celui qui vit de ses bêtes et de ses hectares de potager, il n’est plus rare de trouver de véritables agriculteurs gestionnaires et fédérés dans des associations ou coopératives. « L’éclatement des mondes agricoles tient au développement de logiques financières et à des logiques de précarisation », ajoute le chercheur. La précarisation du milieu agricole, comme tout autre milieu, conduit parfois certains à orienter leur production ou adopter une activité annexe. La méthanisation peut faire partie de ces dernières. Mais pour développer l’activité, il est indispensable pour l’agriculteur d’investir : c’est là qu’interviennent les financiers et les grandes firmes, à l’origine plutôt étrangers au secteur. Purseigle précise : « Ce qui est nouveau, ce sont les emprunts à des firmes financières qui n’ont plus rien à voir avec l’agriculture familiale, depuis 2007. Un certain nombre d’investisseurs sont arrivés. Se développent ensuite des entreprises qui sont avant tout des firmes destinées à la production commerciale ».
Et toutes les bonnes initiatives étrangères au secteur ne sont pas à prendre pour parole d’évangile. Au-delà du réseau qu’il faut tisser, en amont, pour pouvoir établir des partenariats commerciaux pour les déchets — négociations des tarifs de rachat comprises —, il faut que les agriculteurs « se méfient des bureaux d’études et des concepteurs qui vont leur vendre un projet clef en main dans lequel ils vont pouvoir ponctionner toute la plus-value des premières années », prévient Francis Claudepierre, dont le fils, après des études d’ingénieur agro-alimentaire, retourne travailler avec ses parents à la rentrée.
Son installation assèche le fourrage et chauffe l’école voisine, entre autres, et a une puissance qui peut aller jusqu’à 280 kW. Son investissement « n’a été que d’un million d’euros », quand d’autres installations plus récentes montent à 7 millions voire plus. S’il est rentable depuis le début malgré l’absence de tarif de rachat en 2002, c’est aussi parce que le coût de son unité de méthanisation ne dépasse pas 3 600 euros par kW, en moyenne. L’un des premiers méthaniseurs s’alarme des nouveaux entrants dans la conception « qui viennent chez un agriculteur, lui vendent du rêve et lui font dépenser 10 000 euros par kW ». Il ajoute : « Ils leur disent ‘vous avez des subventions donc c’est bon’ et comme il y a un engouement et un bon tarif, ils se disent que l’agriculteur est un bon pigeon bien gras qu’on va plumer”. »
Après ça, difficile de rentabiliser l’ensemble. François Purseigle est catégorique : il y a beaucoup d’échecs et de problèmes de rentabilité dans la mesure où « il faut beaucoup de fumier et ça va de pair avec un modèle industriel, vous ne générez pas de l’énergie comme ça avec de petites exploitations ».
Élevage de porcs / Illustration CC By J.L. Zimmermann
Même en partant du bon sentiment d’une ferme plus écologique, certains reviennent du voyage un peu amer. C’est le cas d’Alain Guillaume, président des agriculteurs méthaniseurs — qui n’a pas donné suite à nos demandes d’interview sur le sujet. En février dernier, cet agriculteur breton confiait à l’AFP l’abandon de ses 3 000 porcs pour se consacrer à la seule méthanisation. En cause, une mauvaise revente de l’énergie et l’embauche d’un salarié non prévu au budget initial.
Pour l’heure, « 60% des projets n’aboutissent pas », selon Guillaume. Parmi les déboires rencontrés, la coûteuse adaptation des machines, importées d’Allemagne, où elles ne sont pas alimentées comme en France. À eux seuls, fumiers ou lisiers ne suffisent pas à produire du biogaz et il faut compléter avec de la matière végétale. Outre-Rhin, les agriculteurs ajoutent du maïs, mais la pratique en France est interdite pour ne pas concurrencer la filière alimentaire. Pour pallier l’absence de maïs, les Français ajoutent ainsi un paquet de déchets organiques : pelouses, déchets de cantines scolaires ou de l’industrie agroalimentaire. Facile au début, la récupération de ces matières premières l’est moins aujourd’hui, car les industriels les vendent. « Les pionniers allaient chercher des graisses et beaucoup de déchets à l’extérieur, et se faisaient payer pour ça entre 40 et 70 euros la tonne pour traiter les déchets chez eux », constate Adeline Haumont. L’ouverture du marché — porteur —, des déchets a rendu commercial un produit considéré jusqu’alors ingrat. « Aujourd’hui je paye pour récupérer des déchets, du transport à la matière elle-même ! » assène, amer, Francis Claudepierre, qui affirme chauffer gratuitement l’école intercommunale grâce à son installation.
Frank Guesdon, lui, élève cinquante vaches laitières en Normandie. Il a visité une unité il y a quelques mois et s’interroge depuis sur l’intérêt d’une telle aventure et des coûts qu’elle suppose : « C’est un énorme investissement qui ne s’adresse pas à tout le monde, ce n’est pas que nous n’en ayons pas besoin, mais a priori, les produits des déchets agricoles ne suffisant pas, il faut aller en chercher ailleurs. Et c’est payant, avec un risque : celui de casser la rentabilité ».
Ce qui pourrait être une avancée écologique notable dans le cadre du plan climat s’avère pour certains un cauchemar, pour d’autres un gros risque, quand une minorité s’en sort. La Confédération paysanne — citée par France 3 Bretagne —, estime rentables 5 à 6 projets sur 30 pour le moment. Pas sûr que les agriculteurs-méthaniseurs y trouvent beaucoup de grain à moudre.
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